Laurent Astier: « Un hommage à Claudia Cardinale »

Comme les excellents « Undertaker » ou « Stern », « La Venin » offre un nouveau souffle au western. Inspiré par Claudia Cardinale dans « Il était une fois dans l’Ouest », Laurent Astier construit son récit autour d’un personnage féminin aussi séducteur que vénéneux.

Pourquoi un western ?
Laurent Astier. Je rêvais de western depuis ma plus tendre enfance. Mes tout premiers dessins et mes premières histoires en bande dessinée étaient pleins de cowboys, d’Indiens et de shérifs. Il faut dire que je lisais des fumettis, « La conquête de l’Ouest », « Tex », « Zembla », « Ken Parker »… Et puis, il y a eu le choc avec « Ballade pour un cercueil » de Giraud et Charlier. Je découvrais « Blueberry » par un des sommets de la série ! C’est peut-être une des raisons qui m’a fait attendre plus de 25 ans afin d’avoir un dessin suffisamment maîtrisé pour m’attaquer au genre.

C’est un genre qui revient en force avec de nombreuses nouvelles séries de qualité comme « Undertaker » ou « Stern »…
L.A. Après « La dernière séance » d’Eddy Mitchell et le western spaghetti, je pense que notre génération n’a jamais cessé de rêver de western. Mais le genre a traversé un désert, et aucun éditeur ou producteur n’a plus voulu de ce type de projet. Les succès d’ »Undertaker » et de « Stern » en bande dessinée, mais aussi de séries comme « Godless » ou la « Ballade de Buster Scruggs », les ont fait mentir. C’est un univers hyper codé qui laisse une très grande liberté de ton. Je pense qu’on l’avait oublié. J’ai d’ailleurs commencé à rêver ce projet en 2012, à peu près au même moment où Ralph (Meyer) et Xavier (Dorison) commençait à travailler sur « Undertaker ». Même si l’album sort aujourd’hui, ce n’était pas un calcul. Je travaillais sur un polar carcéral (« Face au mur ») et j’avais besoin d’évasion, de grands espaces…

« La Venin » affiche d’abord un titre surprenant ?
L.A. Je crois que ce titre est né lorsque j’avais 14 ans. J’ai toujours cru que c’était un roman que j’avais lu à l’époque, mais je n’ai jamais retrouvé la trace de ce livre. Lorsque j’ai monté le projet, j’ai repensé à ce titre, et je me suis dit qu’il était parfait. J’ai trouvé qu’il était dans la veine de « Lady Vengeance » ou « La Poison » de Guitry. Un titre vénéneux. J’y suis d’ailleurs un peu abonné avec « Cellule Poison ». Je trouvais ça aussi gonflé de prendre un titre avec une faute de français qui rajoutait du sens !

Votre personnage principal est une femme, ce qui est assez inhabituel dans cet univers rempli de testostérone…
L.A. C’est à partir de ce personnage que toute l’histoire s’est montée. Ça a commencé avec deux, trois dessins d’Emily. Une sorte d’hommage à Claudia Cardinale dans « Il était une fois dans l’Ouest ». Je trouvais que son personnage était sous-exploité dans le film de Leone et que, malgré la sensation que son histoire était complexe et profonde, elle ne servait qu’à impressionner la pellicule et érotiser le récit. Je voulais donc créer un personnage de cet acabit qui deviendrait le personnage central. Ça permettait d’attaquer l’univers du western sous un autre angle, avec un point de vue totalement différent de ce qui a déjà été fait. Mais je l’ai fait de manière instinctive. C’est ma méthode de travail. Je laisse les choses venir et grandir en moi. Et quand je sens qu’une histoire reste et devient évidente, que les personnages m’habitent, je me lance…

Est-ce qu’il y a un peu de Calamity Jane dans le personnage d’Emily ?
L.A. La similitude avec « Calamity Jane » est qu’Emily utilise les mêmes armes des hommes, la poudre et le feu. Mais, alors que Calamity Jane a fini par se travestir en homme et gommer de plus en plus sa féminité jusqu’à la faire disparaître complètement, je voulais qu’Emily reste femme. Même si elle se déguise en cowboy, elle garde de la féminité.

Comme dans de nombreux westerns, « La Venin » raconte une histoire de vengeance. Celle-ci est cependant encore un peu mystérieuse. Vous avez cherché à renouveler un peu ce type d’histoire ?
L.A. La vengeance n’est qu’un transport, un moyen de raconter l’histoire d’Emily dans toute sa complexité, et au-delà celle des États-Unis sur cette période transitoire entre 1885, en partant de La Nouvelle-Orléans, et 1900, depuis Silver Creek, Colorado. Alors qu’une grande partie des États-Unis vivait encore à l’heure des pionniers dans les plaines, les petites villes avec saloon, Trading Post et Marshall office, l’Est du pays découvrait la révolution industrielle, les villes grandissaient et voulaient pousser plus haut vers le ciel. Emily se devait d’être aussi complexe que ce pays. Chacun des tomes, avec des retours dans le passé d’Emily, permettra de la connaître de plus en plus, dans toute sa profondeur, ses failles. Que le lecteur puisse appréhender l’entièreté de ce destin, avec le voyage comme moyen de grandir. Repousser la frontière, comme l’a fait ce pays, de manière violente.

Quand on dessine un western, est-ce que l’on s’inspire de documentations d’époque ou d’œuvres de fiction déjà existantes ?
L.A. J’ai fait beaucoup de recherches de photographies de l’époque. Je ne voulais pas me contenter de références cinématographiques. Je voulais retrouver de la fraîcheur par rapport à ce genre et découvrir la vérité des choses derrière toutes ces photos usées. Et puis, la période que j’ai choisie est souvent moins traitée dans les films. J’ai revu il y a peu « Butch Cassidy et le Kid ». J’ai aussi regardé pas mal de films, mais davantage pour me mettre dans l’ambiance et analyser les ressorts dramatiques, le montage, les cadrages,… J’ai aussi fait des recherches de journaux, de livres, d’illustrations de l’époque pour m’inspirer des compositions et des ambiances colorées. Et puis, je ne peux pas faire table rase de tous ces grands maîtres européens qui ont forgé mon style de dessin : Giraud, Milazzo, Serpieri, De la Fuente, Bernet…

Vous publiez les carnets d’Emily en fin d’album. Est-ce pour donner davantage d’épaisseur à son personnage ou pour rendre votre histoire encore plus crédible ?
L.A. Je voulais que ces carnets donnent un autre éclairage à l’histoire et donne des clefs sur la période, de petites choses lues dans l’album que je voulais prolonger, approfondir. J’avais pensé à une gazette au départ, avec des articles de fond. Mais, ces derniers temps, il y a pléthore de ces publications en librairie, et il fallait une approche nouvelle. Cela permet de découvrir l’intimité de la pensée d’Emily. Et puis, qui sait, ces carnets sont peut-être les vrais carnets d’Emily confiés par une personne dont je ne révèlerais jamais l’identité, et qui m’ont inspiré cette histoire !

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« La venin – Tome 1. Déluge de feu » par Laurent Astier. Rue de Sèvres. 15 euros.

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