Séverine Vidal: «La transidentité est presque secondaire»
Léold est une personne non-binaire, ni complètement fille, ni complètement garçon. « Le seul endroit » raconte sa transition vers la fluidité de genre, mais aussi une belle histoire d’amour. Séverine Vidal éclaire ainsi une thématique très actuelle à travers un roman graphique bouleversant.
Vous avez commencé par rencontrer des personnes transgenres pour un recueil de portraits. Qu’est-ce qui vous intéressait dans cette notion de transidentité?
Séverine Vidal. Des raisons d’ordre personnelles m’y ont amenée. Ensuite, les rencontres, fortes, marquantes, ont fait le reste.
Leold, votre personnage principal, s’inspire de votre rencontre avec Adhe. Qu’est-ce son histoire avait de différente pour vous donner envie de la raconter sur un album?
S.V. Le fait qu’Adhe aille bien. Ça paraît curieux de le dire comme ça, mais c’est la vérité. Il ne niait ni la souffrance liée à son parcours, ni les humiliations, ni les difficultés, mais il avait décidé d’aller bien. De choisir la joie. Et puis, il réfléchissait beaucoup à tout ça, au féminisme, au langage. Sa philosophie, son sens de l’humour. Tout ça m’a embarquée.
Vous y avez ajouté de la fiction…
S.V. J’ai ajouté le personnage de Colin. Je ne voulais pas tomber dans l’écueil de l’histoire où une super cis-genre sauve le mec trans si fragile ! Je voulais de la subtilité : dans mon histoire, Léold sauve Olivia aussi, d’une certaine façon. Il la sauve de Colin. La transidentité est presque secondaire. Je raconte une histoire d’amour.
Même si la mère ne parvient pas à accepter le choix de Leold, on sent de l’empathie pour elle. Vous comprenez aussi son désarroi?
S.V. La moindre des choses quand on aborde un « sujet » comme celui de la non-binarité, c’est de ne pas imaginer un récit binaire ! Je m’attache à suivre mes personnages, dans leurs doutes, leurs mesquineries, leurs douleurs, leurs ambivalences. Cette maman souffre, certes. Mais sa souffrance prend toute la place. Elle ne se met jamais au second plan, pour permettre à son fils d’exister. C’est pourtant ça, être parent, il me semble. Ça ne fait pas d’elle un monstre. En revanche, si cette attitude perdure dans le temps, qu’elle continue à « mégenrer » son fils, ou à utiliser son dead-name, ça peut se transformer en malveillance. La frontière est mince. Son ex-mari réagit mieux, plus à l’écoute.
Le dessin tout en douceur et en sensibilité de Marion Cluzel colle parfaitement au récit. Comment s’est nouée votre collaboration?
S.V. Au départ, j’ai travaillé avec Marc Majewski. Quand il a quitté le projet, j’ai contacté Marion. Elle a beaucoup apporté à ce livre, sa sensibilité et sa compréhension délicate de Léold ont été essentielles.
Votre livre pourrait être précieux pour aider des parents à comprendre leur enfant. Vous y avez pensé en l’écrivant?
S.V. Hum… Je ne l’ai pas pensé comme un manuel. Mais je sais qu’en faisant la connaissance de Léold et d’Olivia, en les suivant dans ce début d’histoire d’amour, des parents concernés pourront, peut-être y puiser des réponses, de la force. Je l’espère sincèrement.
Ce projet a débuté en 2017. La société a beaucoup évolué sur ces sujets durant ces cinq années?
S.V. Oui ! Beaucoup. Et le monde de l’édition aussi ! Mais il reste du chemin. La France n’a toujours pas adopté le principe d’auto-détermination, qui est la règle dans une dizaine de pays d’Europe. Le Danemark l’a mis en place en 2014 par exemple. Alors, au boulot !
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)
« Le seul endroit » par Séverine Vidal et Marion Cluzel. Glénat. 22 euros.