Nicolas Otero: « Un récit dense, tendu, voire violent »

En adaptant « Le roman de Boddah » d’Héloïse Guay de Bellissen, Nicolas Otero plonge dans l’inconscient de Kurt Cobain et raconte la vie chaotique du chanteur de Nirvana. Très loin d’une biographie classique, cet album s’imprègne du grunge pour en recracher toute son énergie.

boddah1.jpgEst-ce le roman d’Héloïse Guay de Bellissen qui vous a donné envie de réaliser un album sur le rock et particulièrement sur Nirvana ou aviez-vous déjà ce désir auparavant ?
Nicolas Otero. J’avais cette envie de réaliser des histoires en solo depuis longtemps sans vraiment trouver le sujet qui me ferait suffisamment vibrer. « Le roman de Boddah » a été le déclic puisque j’y ai trouvé toute la matière première pour enfin me lancer et parler d’un sujet qui me tenait à cœur: la trajectoire d’un homme mal dans sa peau, inadapté au monde auquel il est confronté.



Est-ce une adaptation fidèle au roman ?
N.O. C’est une adaptation, donc il y a forcément réinterprétation. Le bouquin faisant initialement plus de 350 pages, il était impossible de toute façon de le traiter à l’identique. J’ai donc dû couper, retravailler la structure, me débarrasser du petit côté « fan de » totalement inutile pour obtenir un récit plus dense, tendu, voire violent, à l’image de ce qu’étaient la vie et la musique de Kurt.



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Avez-vous eu un retour d’Héloïse Guay de Bellissen ?
N.O. J’ai envoyé des planches tout au long de la réalisation de l’album et le retour que j’ai eu était des plus emballés. La couverture a même été qualifiée de « Schiele moderne » ? C’est peut-être un peu pompeux, mais ça me fait dire que le boulot a été réussi.

Plus qu’une biographie, ce journal s’intéresse davantage au processus d’autodestruction de Cobain. C’est ce qui vous intéressait ?
N.O. Non, pas vraiment. Ce qui m’a intéressé, c’était l’axe narratif choisi, faire parler Boddah, l’ami omniscient, présent partout et tout le temps. Cette espèce de conscience larvée dans l’esprit tourmenté de Cobain. L’autodestruction a fait partie de la vie du musicien, mais ce serait pourtant réducteur de dire que le bouquin ne s’attache qu’à ça.



Comment définiriez-vous le livre alors ?
N.O. Je considère avant tout que c’est une histoire d’amour. L’amour pour une femme forte, mais ambigüe, et aussi l’amour de la musique qui devient ingérable avec l’arrivée du succès mondial. Ça parle avant tout de ce sentiment plutôt que de celui de mort. Ce dernier est malgré tout inévitablement présent puisqu’on connaît tous l’issue tragique du chanteur.

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« Le roman de Boddah » flirte sans cesse entre le réel et l’imaginaire. Cela vous offre aussi de la liberté pour le dessin ?
N.O. 
Le format m’a offert toute la liberté nécessaire pour développer le récit. Une fois mon scénario écrit et sachant où j’allais aller, il a suffi de me jeter à l’eau, de laisser parler mes émotions pour retranscrire au mieux le côté bouillonnant de ces quelques années (1989-1994). Le narrateur Boddah offrant effectivement l’avantage de pouvoir naviguer dans l’inconscient de Kurt…



Dessiner le rock, c’est facile ?
N.O. 
Le grunge, même si j’exècre ce terme, a été un mouvement musical très particulier, développant une énergie incroyable en même temps qu’un nihilisme intense et un refus de la compromission. Ça m’a toujours parlé. Je me devais donc de traduire au mieux l’effervescence de cette musique, la puissance destructrice des concerts… Dire que c’est plus facile ou moins facile de dessiner ça que des chevaux ou des buildings en perspective, je ne saurais répondre. Ça a été bien à faire, c’est tout, j’ai aimé.

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Il y de nombreuses scènes de défonce. Pour un dessinateur, c’est un vrai cadeau d’avoir ces pages totalement blanches ?
N.O. 
Chaque page que je commence est toujours blanche. Que ce soit pour parler de défonce, d’amour ou de musique. Disons que l’évanescence due à la came autorise peut-être une mise en scène plus libérée, une narration plus heurtée…



Quel album ou quelle chanson vous a le plus accompagné pendant que vous dessiniez ?
N.O. 
 »Vamos » des Pixies et « Toxicity » de System of a Down. Je n’ai pas spécialement écouté Nirvana pendant la réalisation de cet album même si leurs mélodies me trottaient forcément dans un coin de la tête. Peut-être parce que passer déjà huit mois de sa vie à raison de douze heures de boulot chaque jour à traiter d’un sujet fort et intense comme celui-là ne nécessite pas le besoin d’en rajouter. J’avais probablement besoin de pouvoir m’endormir sans penser continuellement à ce petit blondinet, je le faisais déjà assez à mon goût et à celui de mon entourage proche… Les auteurs de BD ont aussi parfois une vie en dehors de leurs productions.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Le roman de Boddah – Comment j’ai tué Kurt Cobain » de Nicolas Otero. Glénat. 22 euros.

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