Florent Calvez: « L’atrocité de la mise à mort d’un homme »

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Bouleversant plaidoyer contre la peine de mort, « American Tragedy » retrace l’affaire Sacco et Vanzetti, deux anarchistes exécutés aux États-Unis dans les années 20. Son auteur Florent Calvez explique ses choix narratifs et graphiques.

Pourquoi avoir choisi cette affaire Sacco et Vanzetti pour dénoncer la peine de mort ?
Florent Calvez. En fait, j’ai choisi de travailler sur l’affaire Sacco et Vanzetti, parce qu’il me semblait qu’il y avait beaucoup à dire, et surtout beaucoup à apprendre ! Ensuite, l’esthétique de cette époque, l’Amérique… Et une émission de télé où l’ineffable Éric Zemmour disait des âneries sur cette affaire, qu’il confondait avec l’affaire Rosenberg. Tout cela m’a conduit à traiter cette affaire plus qu’une autre.

Le fait qu’un doute subsiste était une motivation ?
F. C. Non, en tout cas pas initialement. Pour tout dire, mon opinion a basculé à plusieurs reprises. J’avais tendance à penser qu’il était nécessaire d’avoir un parti pris fort. Soit ils étaient coupables, soit innocents. En fait, au cours de la production de l’album, j’ai retourné le problème au fil des informations. Et comme cela m’a demandé pas mal de documentation, j’ai beaucoup changé d’avis sur la question. Et finalement, je me suis dit qu’un réquisitoire contre la peine de mort est valable qu’elle que soit la culpabilité des accusés. C’est ce que je tente d’expliquer en fin d’album.

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Pourquoi avoir choisi de traiter cette histoire principalement sous la forme de la narration ?
F. C. Au tout début, c’est vrai que j’avais dans l’idée de travailler au présent, histoire d’avoir un récit vivant. Le problème, c’est que je voulais assoir le contexte historique et social, assez méconnu par nos douces contrées, et là, il y avait un hic qui allait nécessairement repointer le bout de son nez, régulièrement dans le récit. Aussi, plutôt que de partir sur une pure voix off, j’ai préféré travailler sur un «dialogue off». Le principe du grand-père discutant avec son petit fils, son candide en quelque sorte, m’a convaincu rapidement: j’ai toujours aimé que mon grand père me raconte comment l’on vivait à son époque.

American Tragedy traite aussi de l’anarchisme. Est-ce un mouvement que vous connaissiez bien ou l’avez-vous découvert suite à vos recherches ?
F. C. Je connais relativement bien ces mouvements. Plus jeune, je me suis intéressé d’abord à quelques figures anarchistes : Bonnot, Jacob… Pour en arriver plus tard à lire certains théoriciens anarchistes. Si bien que je connaissais l’affaire Sacco-Vanzetti assez bien aussi. D’autant que cette histoire est traversée par une interrogation politique qui a divisé et torturé les courants libertaires : la question de l’illégalisme.

Maintenant, je n’ai pas eu envie non plus de faire un bréviaire anarchiste, ni de convaincre qui que ce soit : ce n’est pas le petit livre rouge et noir !



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L’un de vos personnages légitime le terrorisme en déclarant qu’un pouvoir qui se comporte mal pousse des gens à commettre des choses pires encore. Est-ce qu’il faut être en partie d’accord avec ce genre de citation pour l’écrire ?
F. C. Le personnage explique, mais je ne pense pas qu’il le légitime «complètement». Ou alors, dans un sens particulier et restreint : cette zone grise où le terrorisme devient résistance. C’est une question de point de vue, en quelque sorte. J’y vois plutôt une explication de certains agissements répréhensibles, y compris moralement. Je ne pense pas qu’on puisse balayer d’un revers de main des actes odieux en disant «ce type est un monstre, point», surtout quand ils se répètent. Je n’irais pas non plus vers la psychologisation de chaque acte. Mais, quand je parle de l’attentat de Wall Street, je tente de faire un parallèle avec le massacre de Waco. On peut relever des agissements similaires, orientés vers une cible globalement identique, produits par des gens qui ont des idées opposées. Il me semble que l’on peut chercher des explications.

À titre personnel, je vomis toute violence, quand bien même serait-elle «politique». L’auteur d’un récit n’a évidemment pas à être d’accord ou pas avec ses personnages.

On a du mal à croire aujourd’hui qu’une affaire judiciaire puisse aujourd’hui faire descendre des gens de nombreux pays dans la rue…
F. C. Ça ne me semble pas étonnant ! Pensez que cette affaire aura duré sept années, avant que les gens ne réagissent vraiment. Les personnages Sacco et Vanzetti sont devenus familiers, et notamment pour ceux qui étaient du même côté politique. D’ailleurs, à un moment, les partis ont saisi leur intérêt dans cette histoire et ont mobilisé ! Rappelons aussi que la répression syndicale existait partout, et que les esprits étaient plus chatouilleux. À cette époque, on se mobilisait plus facilement, d’autant que manifester était aussi le moyen le plus aisé de s’exprimer. Et surtout, surtout, le « storytelling ». On a fait de ces deux pauvres types des symboles sur lesquels tout le monde était obligé de se positionner. C’était Dreyfus chez les capitalistes (pas uniquement les Américains).

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Graphiquement, vous avez trouvé le trait idéal pour retranscrire ses années de dépression. Est-ce que cela s’est imposé facilement ? Est-ce que vous avez beaucoup changé votre méthode de travailler ?
F. C. En fait, dans le cadre des bandes dessinées où je suis auteur complet, j’ai tendance à aller vers cette esthétique-là. Il me repose des albums plus «propres», plus précis, plus classiques que je réalise d’ordinaire. Comme pour Reanimator, par exemple. Alors, sont-ce les histoires qui s’accordent au style graphique, ou juste que c’est un style graphique qui s’accorde à ce qui se passe dans mon cerveau malade ? Il est vrai que, dans ces deux albums, je raconte des histoires qui ne sont pas très joyeuses ! On pourrait y voir des similitudes… Et puis, ce style me permet aussi d’approcher par moments la sensation de raconter en temps réel mon histoire. C’est un peu une illusion, parce qu’au final, je passe beaucoup de temps sur mes albums.

On trouve plusieurs scènes d’explosion très réussies. Est-ce quelque chose de compliqué à dessiner ? Est-ce que vous vous inspirez de photos, de films ?
F. C. À force d’en dessiner, je n’ai plus besoin de documentation. Au moment de U-29, j’ai cherché de la documentation sur les explosions, et j’étais très fidèle, à la manière des vieilles illustrations de guerre. Maintenant, je privilégie le mouvement, l’irruption, et les débris qui volent!

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Vous avez choisi de raconter les exécutions sur onze pages. Pourquoi ce choix alors qu’une case aurait pu tout résumer ? Il était important de montrer toute la barbarie de cet acte ?
F. C. Oui, la barbarie. On tente depuis l’ère moderne de rendre l’exécution la plus hygiénique possible. On a aussi, dans le cas des injections létales tout un processus pour que le bourreau soit au maximum déresponsabilisé. J’ai voulu montrer la torture, l’atrocité de la mise à mort d’un homme. Qu’elle en devienne difficile à la lecture. D’ailleurs, j’ai commencé par dessiner cette scène pour ne pas avoir à hésiter à la dessiner par la suite. Je savais dès le départ qu’un lien se créerait entre moi et mes personnages, Sacco et Vanzetti. D’ailleurs, en relisant, je sautais volontiers ce passage…

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« American Tragedy, l’histoire de Sacco et Vanzetti » par Florent Calvez. Delcourt. 14,95 euros.

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