Merwan : « J’aime les récits gais et lumineux »

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« Mécanique céleste » tranche avec la grande majorité des récits post-apocalyptiques. Merwan opte en effet pour un monde lumineux où les guerres ont été remplacées par un spectaculaire jeu de balle. C’est beau, léger et inventif.

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Avez-vous cherché un minimum de crédibilité dans le monde que vous avez inventé ?
Merwan. Je me suis amusé à extrapoler des systèmes possibles et à imaginer quels pourraient être leurs déviances et leurs angles morts. Afin d’éviter d’avoir une vision trop idéologique ou prosélyte, j’ai concrètement imaginé la mise en place de systèmes alternatifs et les antagonismes qui les sous-tendent. Je l’ai fait avec beaucoup de sérieux pour un résultat qui m’a vraiment amusé, notamment pendant la scène de la coopérative rizicole qui reste ma préférée.



Vous remplacez les guerres par une sorte de balle au camp. C’est une vision résolument optimiste ?
M. 
Les cités grecques mettaient en concurrence leurs meilleurs athlètes afin d’éviter que le sang ne coule. Les États-Unis et l’URSS se sont défiés à travers la conquête de l’espace et à travers leurs athlètes. Dans « Mécanique céleste », deux tribus s’affrontent autour d’un rituel sportif relié au cosmos. Finalement c’est très proche de notre univers quotidien.



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D’où vient cette idée de mécanique céleste?
M. 

La mécanique céleste est une pratique qui cherche à calculer les trajectoires des astres dans l’univers. En réfléchissant à la fascination qu’ont nos sociétés pour les sports de balle, envoyer un objet sphérique dans un embut en lui appliquant une certaine poussée, je me dis qu’il y avait quelque chose de comparable. Les hommes cherchent à comprendre comment les choses fonctionnent afin de contrôler leur destin et le monde qui les entoure. En cela les sports de balle peuvent être perçus comme une réponse à l’angoisse liée au chaos du monde.



Au fil des cycles (matchs) de cette mécanique céleste, on glisse progressivement vers quelque chose qui ressemble davantage à la guerre avec des règles de plus en plus floues. La violence est finalement inéluctable ?
M. 
On glisse progressivement vers quelque chose qui ressemble à la guerre, mais justement on s’arrête avant. Les dirigeants ont leurs objectifs et on voit bien que la méthode expéditive leur convient, mais c’est leur peuple, justement, qui les empêche d’avoir recours à la violence plutôt qu’à l’arbitrage. Et c’est quand Fortuna dénature les valeurs collectives en tendant vers la violence et la domination que son propre peuple se soulève. À un moment l’un des manifestants dit « qui règne par la force périra par la force ». J’ai cru observer qu’on récoltait ce que l’on semait.



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« Mécanique céleste » traite aussi de la notion d’appartenance à une nation et de fait de racisme. La science-fiction reste le meilleur vecteur pour parler de notre société actuelle ?
M. 
Le racisme est en effet un concept excluant, mais ce n’est pas celui de Pan. Pan ne pratique pas le droit du sang, mais le droit du sol. Je crois qu’en alliant la science-fiction et l’humour, j’ai trouvé le genre qui me convenait le mieux. Quand j’ai le sentiment de sentir une tendance ou une aspiration de notre société, je penche sur le côté SF, et puis je me souviens que je suis artiste et non prospectiviste, alors je penche vers l’humour et l’autodérision. Aussi ça me permet de raconter tout ce dont j’ai envie avec légèreté et sans que le lecteur ne soit enfermé dans une vision restrictive de l’avenir. Je pense que pour se sentir bien dans ses baskets on a intérêt à envisager des scénarios de vie possible et tout à la fois leur contraire. Mais comme il est dit à la fin de l’album, il faut imaginer.



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Pourquoi aimez-vous autant prendre votre temps pour raconter une histoire ?
M. 

J’aime le mouvement, l’action, l’enchevêtrement des rapports et des problèmes. De plus, je suis un enfant du long métrage (même si j’ai réalisé deux courts-métrages d’animation), c’est la temporalité narrative dans laquelle je me sens bien. Aussi en bande dessinée cela implique de fortes paginations. Jusqu’à présent, j’avais toujours scindé mes récits en trois parties, mais cette fois il m’est apparu que celui-ci devait se délivrer et se lire en un seul bloc.



Malgré tout, on ne s’ennuie jamais tout au long de ces 200 pages. Est-ce que cela nécessite un travail particulier sur le rythme?
M. 
J’ai enlevé le plus de choses possible pour me limiter à ces 200 pages, mais je voulais aussi un album généreux. Je voulais, une fois l’album balisé, ne pas avoir à compter mes efforts et me sentir libre de découper comme je le souhaitais. J’avais donc prévu 160 pages, au final j’en ai 40 de plus. Au sujet du rythme, j’ai écrit plusieurs fois le scénario, et j’avais en tête une action montant crescendo jusqu’à l’action finale. C’est peut-être pour ça qu’on ne s’ennuie pas. 



Graphiquement et contrairement à beaucoup de récits de science-fiction, « Mécanique céleste » reste très lumineux…

M. 
C’est vrai qu’à une période où on parle beaucoup de fin du monde, il peut paraître étonnant de raconter un futur vivant bien qu’ayant été partiellement détruit. J’ai fait ce choix, en partie, après une discussion avec mon éditrice. Je voulais écrire un drame d’anticipation, mais elle trouvait cela triste. J’avais en tête que raconter des histoires sombres, qui décrivent les choses tristes de la vie, c’était être un adulte et un artiste conséquent. Bien que déstabilisé, j’ai réfléchi et je me suis dit que moi-même, sans tomber dans la mièvrerie, j’aimais les récits gais et lumineux. Alors j’en ai conclu que pour donner le meilleur de moi-même, il était temps de retrouver l’énergie d’un enfant conséquent et d’aborder le monde avec enthousiasme.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Mécanique céleste » par Merwan. Dargaud. 24,90 euros.

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