Clarke: «Un Etat totalitaire qui se sert d’un virus pour asservir les peuples»

«Nouvelle Chine» est un polar classique, un tueur en série poursuivi par un flic, dans un contexte géopolitique totalement bouleversé par une épidémie. La Chine occupe désormais l’Occident grâce à l’exclusivité de son vaccin. Clarke imagine une uchronie très originale et livre un récit prenant sur la manipulation des masses.

«Nouvelle Chine» est né durant la pandémie de Covid-19. Quelle(s) réflexion(s) vous ont mené à cette histoire?
Clarke. J’ai, comme tout le monde, entendu beaucoup de témoignages désespérés durant cette période très anxiogène où les gens ne se sont pas sentis aidés par les gouvernements, eux-mêmes perdus. J’ai eu l’impression que tout le monde aurait voulu que les instances responsables prennent la situation en main et, surtout, rassurent. Ça m’a donné l’idée, à contrario, d’un gouvernement qui aurait la main mise sur tout, y compris l’épidémie elle-même. Les auteurs comme moi ont la chance de pouvoir transcender ce genre de traumas, se les approprier. Et, en en faisant quelque chose d’autre, en prendre le contrôle. Ce que j’ai fait.

Grâce à leurs gênes, les Chinois sont les seuls à résister à un nouveau virus qui ravage l’Occident. Ce sont aussi les seuls à détenir le vaccin. Cette idée vous a effleuré pendant la crise du covid?
C. Non, cette idée est pure fiction. Et je n’ai pas de crainte à ce sujet. Elle servait l’histoire. Mais oui, les guerres bactériologiques, malgré toutes les sécurités mises en place par les traités internationaux, peuvent encore surgir…

Dans «Nouvelle Chine», Berlin est occupé par la Chine. Pourquoi avoir choisi l’uchronie?
C.
J’ai choisi l’uchronie parce que je voulais aller jusqu’au bout de ma logique. Celle d’un Etat totalitaire qui se sert d’un virus pour asservir les peuples. Une forme d’arme ultime, en somme. Et j’ai choisi Berlin parce que, étant Belge, je suis plus familier avec cette ville qu’avec Paris (et que, de toute façon, personne ne jugerait utile d’envahir Bruxelles).

«Nouvelle Chine» est aussi un vrai polar avec une enquête sur une série de meurtres. C’était le genre idéal pour développer vos thématiques?
C. Ce que je voulais surtout, c’était mêler le général au particulier. Parler d’une situation mondiale mais rester à hauteur d’homme. Rester plus « vrai ». Un policier était une bonne façon de régler ça, il est plus proche du pouvoir que le citoyen lambda mais il garde le choix de se mêler ou non de politique dans son travail.

Votre héros, Viktor Eberhart, s’inscrit dans la lignée de détectives hard-boiled de la première partie du XXe siècle. Vous aviez des références dans ce domaine?
C. Oui, bien sûr. Je suis un grand fan d’Herbert Lieberman, notamment de ses romans new-yorkais. Mon détective a exactement l’apparence que je donnais au sien, Frank Mooney, en lisant ses romans. Je me suis aussi rappelé « Le Cercle Rouge » de Melville pour les trenchcoats et les chapeaux. Raison, aussi, pour laquelle j’ai placé cette histoire en 1975. Ça me permettait une esthétique particulière dont j’avais très envie ici. Quelqu’un m’a aussi rappelé « Le Maître du Haut Château » de Phillip K. Dick, que j’avais complètement oublié au moment de faire cette histoire mais qui est aussi, évidemment, une grande influence.

Au niveau du dessin, vous avez opté pour un encrage très contrasté sans aucune nuance de gris. Est-ce une façon d’accentuer le côté roman noir 
C. Je dessine naturellement comme ça. Même mes planches de Mélusine. Ça se voit moins à cause de la couleur mais mon dessin est souvent composé de masses de lumières et d’ombres, de pleins et de vides… C’est ainsi que je travaille. C’est l’éditeur qui m’a proposé le noir et blanc ici. Sans doute pour accentuer le côté thriller neo noir.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

«Nouvelle Chine» par Clarke. Editions Soleil. 17,95 euros.

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