Luc Brahy: « L’instant d’avant »
« 13/11 » n’est pas seulement la reconstitution d’une tragique nuit de novembre à Paris. C’est aussi un récit précis de ce qui se passe avant ce 13 novembre 2015. Sur un scénario d’Anne Giudicelli, spécialiste du monde arabe et musulman, Luc Brahy s’est confronté à la réalité pour dessiner l’horreur.
Est-ce un projet qui a été facile à accepter ?
Luc Brahy.Vincent Berniere, l’éditeur, m’a proposé une manière de voir cette tragédie, de la retranscrire et surtout de présenter ce qui se passe « avant ». Le travail formidable d’Anne Giudicelli permet au lecteur de se situer enfin dans ce maelström horrible. J’ai tout de suite accepté parce que c’était un devoir de mémoire envers les victimes, la société, le pays. Je produis habituellement des sujets de fiction et j’étais pour une fois confronté à la réalité.
Art Spiegelman (« Maus ») ou plus récemment Manu Larcenet (« Le rapport de Brodeck ») n’ont pas réussi ou n’ont pas souhaité donner une apparence humaine aux barbares nazis. Vous avez opté pour un dessin très réaliste. Cela s’est imposé ?
L. B. L’éditeur m’a contacté pour avoir un dessin réaliste. C’était la base de notre collaboration et c’est bien tombé, car j’avais cette idée de faire du reportage en bande dessinée réaliste il y a plus de vingt ans… J’ai utilisé le lavis pour donner un côté plus photographique au dessin. En représentant les agresseurs de manière symbolique, on déshumanise trop leurs actions, leurs meurtres… Ce sont tout de même des humains qui les ont attaqués, alors pourquoi ne pas le montrer? A-t-on peur de la réalité ? Non, les gens veulent des réponses.
Dans votre livre, les planches des attentats à Paris côtoient celles des bombardements en Syrie. Cela peut être un peu dérangeant ?
L. B. Sur un sujet comme celui-là, tout est dérangeant: du style choisi à la couverture et aux choix narratifs. Anne tenait à montrer le quotidien de la Syrie et le parallèle le suggère.
Les visages de vos personnages ne sont jamais neutres. Est-ce qu’ils vous ont demandé un travail plus important que pour vos autres albums ?
L. B. Non. Je suis parti sur une base de données véridique. Vous trouvez que les gens sont neutres dans la vie ?
Vous ne censurez pas la violence et dessinez des scènes très dures…
L. B. Je n’ai pas fait un film hollywoodien pyrotechnique. Il y a eu des morts, des tirs, de l’horreur. Il nous fallait le restituer au mieux. Nous sommes dans un livre factuel. J’ai laissé la place à l’Histoire aussi dramatique et injuste soit elle. La couverture elle-même nous montre ce que personne n’a vu : l’instant d’avant !
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)
« 13/11 – Reconstitution d’un attentat, Paris 13 novembre 2015 » par Luc Brahy et Anne Giudicelli. Delcourt. 15,50 euros.