Arnaud Malherbe: «Je ne me suis jamais laissé bloquer par un aspect documentaire»
Inspiré par le quartier de Belleville, Arnaud Malherbe a ensuite laissé travailler son imagination pour construire ce somptueux polar noir et violent qui s’infiltre dans les arcanes de la mafia chinoise à Paris.
Après avoir adapté ce scénario pour la télévision, pourquoi avoir choisi d’en réaliser une version en BD ?
Arnaud Malherbe. En fait, j’ai écris le scénario quand j’habitais à Belleville. J’avais envie de le monter pour le cinéma mais cela prenait un peu de temps. J’ai été contacté par quelqu’un d’Arte qui l’a proposé à un comité de lecture. Je n’y croyais pas beaucoup. On venait alors de faire « Taïga rouge » avec Vincent Perriot et il m’a demandé si je n’avais pas quelque chose. Je lui ai montré ce scénario tout en lui expliquant que cela risquait d’être compliqué pour le cinéma car cela se passait à Belleville, avec des Chinois et sans star possible. Il m’a proposé d’en faire un album de BD. On est allé voir Dargaud et on signait avec eux avant que je reçoive la réponse positive d’Arte.
L’un des points forts de cet album est l’ambiance interlope que vous avez réussi à créer et qui plonge vraiment le lecteur au cœur de Belleville…
A.M. Je lui indiqué plein de lieux. Je lui ai par exemple montré le marché un peu quart-monde que l’on voit plusieurs fois. Il s’est mis à une terrasse de café pour faire des crobars. Il se trouvait ainsi directement au cœur de ma source d’inspiration.
Freddy, le héros de cette histoire, est une petite frappe qui n’a pas aussi méchant qu’il souhaiterait l’être. Comment est né ce personnage ?
A.M. C’est venu de plusieurs personnes, dont un gars que j’avais croisé et qui était une espèce de petit loulou qui achetait et revendait des choses. J’ai exagéré un peu le personnage. Ensuite, il y a pas mal d’imagination.
C’est aussi un moyen de montrer que chaque petit caïd possède aussi un bon fond ?
A.M. Je le pense. On n’est jamais la caricature que l’on veut bien donner aux autres. Il y a toujours plusieurs degrés de lectures chez quelqu’un.
En trame de fond de ce polar, vous parlez du trafic de clandestins chinois. Est-ce un sujet qui vous maîtrisez ou vous êtes vous documenté spécialement pour écrire cette histoire ?
A.M. Je ne suis pas un spécialiste de la question mais j’ai lu beaucoup d’articles de presse. Il existe tout un univers un peu souterrain que l’on connaît mal. Il y a une brigade chinoise à Paris qui ne s’occupe d’ailleurs que de cela.
Quand on ne s’est jamais vraiment intéressé à ce sujet, on peut se demander si tout cela est plausible…
A.M. Ma problématique n’est pas tellement à ce niveau. Dès le départ, j’ai été assez clair vis-à-vis du fait que j’avais envie de crédibilité et en même temps la vérité avec un grand V m’importait peu. Ce qui m’intéressait, c’était de fantasmer et de raconter mon histoire. Je ne me suis jamais laissé bloquer par un aspect documentaire. Je voulais faire ressortir plein de choses réelles sans m’empêcher de rêver à d’autres choses.
C’est ancré dans la réalité mais ce n’est pas la réalité…
A.M. Oui, c’est un fantasme qui part du réel. Les immigrés qui arrivent à l’aéroport et qui se font voler par un gang pour travailler dans des ateliers clandestins, c’est quelque chose qui existe par exemple. Après, je brode et j’invente des choses. Totalement vrai ou totalement faux, ce n’est pas mon problème car je raconte une histoire.
En ne traduisant pas les dialogues en chinois, vous placez le lecteur dans la même situation que Freddy…
A.M. Exactement. Je voulais aussi le faire dans le téléfilm mais au dernier moment Arte a exigé de sous-titrer tous les dialogues en chinois. J’étais assez énervé. Du coup, pour la BD, on a pu garder cela. Je considère qu’à partir du moment où l’on est dans le point de vue du personnage, c’est bien de comprendre et de ne pas comprendre les choses en même temps que lui. Cela me paraît intéressant que le lecteur ne sache pas plus de choses que lui.
Ce premier tome s’étend sur 86 pages. Est-ce que c’est le rythme de votre album qui imposait une grande pagination ?
A.M. Vincent a travaillé sur la base de mon scénario et, en fonction de son découpage, nous sommes allés naturellement vers cette pagination. Dargaud nous a fait confiance et ne nous a rien imposé. Cela nous permet de laisser des moments de respiration dans l’album, de prendre du temps pour raconter les choses. Ce tempo permet de faire une grande case pour s’imprégner de l’univers. C’est vraiment l’album dont on rêvait.
Combien de tomes sont prévus ?
A.M. C’est un dyptique. On aurait certainement dû communiquer là-dessus. Le premier explore « Belleville story » avant minuit et le second après minuit.
Propos recueillis par Emmanuel LAFROGNE
« Belleville Story » tome 1 « Avant minuit » par Arnaud Malherbe et Vincent Perriot. Dargaud, 15,50 euros.