Tom Graffin : « Donner vie au roman »

Thomas Shaper ne veut pas reprendre l’exploitation de fraises familiales et va fuir son destin pour se lancer dans la peinture. Son road trip existentiel va alors croiser la route d’Andy Warhol et Johnny Cash. Avec la dessinatrice Marie Duvoisin, Tom Graffin adapte son propre roman « Jukebox Motel » et livre une histoire intrigante sur la création artistique.

Après le court métrage puis le roman, pourquoi adapter « Jukebox Motel » en bande dessinée ?
Tom Graffin.
L’image est l’ADN de « Jukebox Motel ». Au départ, en 2011, le projet est une sorte de fantasme cinématographique alimenté par toutes les légendes des années 60, ses stars, ses contes, ses histoires, sa musique. Le court-métrage était un point de départ, un moyen réaliste de donner vie au projet. Le roman a ensuite permis d’enrichir ce fantasme, et de lui donner un vrai héros… ou anti-héros. J’ai écrit ce roman avec plein d’images et de scènes dans la tête. La bande dessinée était presque l’étape naturelle, pour donner vie au roman avec une liberté absolue.

Qu’est-ce que ce média apporte au récit?
T.G.
D’abord, tout ce que le dessin de Marie Duvoisin a de vivant, de généreux, de flamboyant. Ensuite, la bande dessinée correspond à l’ADN dont je parlais, ce côté fantasmatique. J’ai toujours regardé « Jukebox Motel » comme un conte, et les contes ont toujours été mis en images. Enfin, et très égoïstement, il n’y a pas de mot pour décrire ce que l’on ressent quand on découvre la tête de ses personnages. Dans le roman, il n’y a pas de longues descriptions, plutôt des atmosphères, des images furtives, et c’était magique de voir ces mots résonner dans les dessins de Marie.

C’est peut-être encore plus difficile d’adapter son propre roman et de devoir choisir quels passages supprimer pour tenir dans deux tomes de 56 pages?
T.G. J’ai dû faire des choix, mais je ne me suis pas senti bridé. Quand j’ai relu le roman en stabilotant les passages clés, j’ai vite réalisé que le format du diptyque permettrait d’adapter l’intrigue sans l’appauvrir. J’ai naturellement modifié et supprimé des choses, mais ça m’a permis de me concentrer sur l’essentiel. Je voulais aussi assurer la liaison entre les deux tomes, en développant, sans trop l’appuyer, un retournement de situation déjà présent dans le roman.

En écrivant votre roman, vous aviez forcément des images dans la tête. Est-ce que vous avez cherché à les retrouver dans le dessin de Marie Duvoisin?
T.G. Il m’est arrivé de proposer à Marie des idées visuelles, des images, des plans de film, des références, mais elle restait libre de ses choix graphiques. Nous nous sommes très bien entendus. Dès que Marie m’a envoyé ses premières recherches de personnages et de décors, j’ai su que ça allait fonctionner. Chacun faisait confiance à l’autre. Je lui demandais même parfois son avis sur le scénario, car je tenais à ce qu’elle valide à 100% l’histoire.

«Jukebox Motel» interroge notamment l’acte de création. Votre héros explique que ces toiles ont besoin d’un truc, de chance ou d’une colère. C’est quelque chose que vous avez pu ressentir?
T.G. Je crois dans le travail, plus qu’en la chance. La colère au sens large peut être utile, mais il faut savoir la transformer en énergie créatrice, en enthousiasme, ce qui demande… du travail ! Le travail reste la clé. J’ai grandi dans le travail, j’ai été élevé comme ça, et j’ai toujours constaté que ça marchait, car plus on travaille, plus la probabilité de tomber sur ce fameux « truc » augmente. « Plus je travaille, plus la chance me sourit », disait Thomas Jefferson.

Dans ce premier tome, on croise Andy Warhol et Johnny Cash. Pourquoi eux?
T.G. « Jukebox Motel » raconte un homme, Thomas Shaper, qui abandonne son destin paysan pour devenir un artiste, et un artiste reconnu. Je ne voyais qu’Andy Warhol, qui à l’époque fabriquait la célébrité, pour décréter le génie de Thomas. Quant à Johnny Cash, il avait tout pour devenir le double de Thomas, son ombre vieillie. L’absence du père, les affres de la célébrité, la musique country (« campagne » en français), son nom (argent liquide), il représente tout ce qui hante le héros. Tout colle, jusqu’au bout : Johnny Cash est connu pour avoir mis le feu à la forêt de Los Padres, les parents en espagnol…

La musique est déjà un peu présente dans ce premier tome. Est-ce que cela va s’amplifier dans la suite de l’histoire et donner alors tout son sens au titre « Jukebox Motel »?
T.G. Mais quel est le sens du « Jukebox Motel »? C’est justement toute la question ! On réalise déjà dans le tome 1 que les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être. Peut-être ce titre aux allures d’enseigne n’est-il qu’une façade (sourire).

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Jukebox Motel – Tome 1 : La mauvaise fortune de Thomas Shaper » par Tom Graffin et Marie Duvoisin. Grand Angle. 14,90 euros.

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