Jean-Blaise Djian: « Comprendre comment l’intolérable est devenu acceptable »

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Plutôt que de s’intéresser aux résistants qui ont combattu le nazisme, un sujet souvent développé en BD et ailleurs, Jean-Blaise Djian a préféré plonger aux sources du mal et écrire une saga romanesque dans l’Allemagne des années 30: « Julia von Kleist ». Instructif et passionnant.

Pourquoi avoir choisi de raconter la montée du nazisme en Allemagne ?
Jean-Blaise Djian. Cette période de l’histoire m’intéresse beaucoup. J’avais moi-même envie de comprendre l’enchaînement des événements qui ont mené l’Allemagne puis l’Europe, puis le monde au chaos. Comment l’intolérable est devenu acceptable…

Dans le premier tome, l’industriel Ulrich Von Kleist pense utiliser Hitler et pouvoir s’en débarrasser une fois les communistes écrasés. Cela a été le cas de beaucoup d’industriels ? Aucun n’avait l’impression de créer un monstre incontrôlable ?
J.-B. D. Les industriels pensaient former une sorte de confrérie unie qui saurait, le moment venu, se débarrasser de celui qui leur aurait permis de se débarrasser des communistes. Mais la montée en puissance d’Hitler fut fulgurante ; suite au complot de l’incendie du Reichstag, il s’est emparé de tous les pouvoirs avec une telle rapidité qu’il a coupé l’herbe sous le pied à tout le monde. JuliaVonKleist02.jpg On peut d’ailleurs tracer un parallèle avec les SA de Roehm ; Hitler s’est servi d’eux pour s’imposer. Mais tel un bon joueur d’échecs, il a choisi le bon moment – quand Roehm a commencé à se montrer gourmand de pouvoir – pour les éliminer et reprendre seul la main.

Vous montrez également que beaucoup d’Allemands se sont engagés dans le groupe paramilitaire nazi par désespoir suite à la hausse du chômage consécutive au krach boursier de 29. Une crise économique est le terreau idéal pour des idées nationalistes ? Est-ce inquiétant pour notre avenir ?
J.-B. D. Il est évident que c’est quand la pénurie surgit que les rats se battent pour s’accaparer les rares morceaux de gruyère en circulation… C’est alors que, dans la hâte, quelques rats sortent des arguments sournois et fallacieux pour réduire les droits de certains et par là même séduire les autres. Des arguments tels que les origines, le droit du sol ou la religion, par exemple. Les périodes exceptionnelles engendrent toujours des mesures exceptionnelles et parfois, les lois sont transformées en pâte à modeler…

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Est-ce qu’il a été difficile de trouver le bon équilibre pour faire comprendre comment les Allemands ont adhéré aux thèses d’Hitler sans pour autant complètement les dédouaner des atrocités du régime nazi ?
J.-B. D. Dans « Julia von Kleist », j’ai voulu présenter différents cas de figure. Ceux qui étaient pour ce régime (par admiration pour Hitler ou pour se sortir d’une situation, parce que cela semblait être le dernier espoir…). Ceux qui étaient contre et qui le sont restés jusqu’au bout. Ceux qui ne faisaient pas de politique et qui voulaient rester en dehors de tout système. Ceux qui étaient contre mais qui, par intérêt (les industriels…) ou par peur (certains communistes…) ont retourné leur veste. 

La peur était partout. Tout le monde pouvait être un espion donc tout le monde avait peur. C’est pourquoi je pense qu’il ne faut pas faire une globalisation. Des Allemands sont entrés en résistance (c’est en grande partie le thème du tome 3). Il y a même eu des réseaux pour faire sortir les juifs d’Allemagne. Mais le pouvoir était devenu un véritable rouleau compresseur terroriste. Beaucoup ont péri dans d’atroces souffrances.


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Pour la couverture de ce deuxième tome, vous avez choisi le dessin de ces livres qui sont brûlés par les nazis. C’est l’image forte qui symbolise toute dictature ?
J.-B. D. C’est Bruno Marivain et Emmanuel Proust qui ont choisi de mettre cette image en couverture, et je pense que c’est une bonne idée car quand on brûle la pensée, on brûle l’individu. On le force à s’amalgamer pour former un troupeau, une meute ou au pire, une armée. D’ailleurs, à un moment du tome 2, il est question d’un livre de Erich Maria Remarque et de son livre « A l’ouest rien de nouveau ». E.M Remarque était un auteur pacifiste qui déplaisait aux nazis. Eux voulaient afficher des symboles de force et de puissance.

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Utiliser l’intrigue nouée autour de Julia Von Kleist permet de mieux faire comprendre la situation ?
J.-B. D. Je ne sais pas, mais c’est sous forme d’histoire humaine que je voulais raconter ce récit. Je ne suis pas sûr d’avoir réussi ce que je voulais faire, d’avoir su bien doser le didactique et le romanesque. En fait, avec le recul, je me dis que j’ai été trop rapide par endroits ou que je n’ai pas assez privilégié certains rapports humains à d’autres, mais j’ai fait de mon mieux au moment où je l’ai fait, dans le cadre des 46 pages que je m’étais imposées. Ce qui m’importait aussi était que le lecteur comprenne bien le contexte, la situation et le déroulement des événements. Forcément, c’est parfois un peu démonstratif, mais je préfère cela plutôt que d’égarer le lecteur ou de le forcer à ouvrir un autre livre pour comprendre le mien. Et puis, on ne peut pas bien comprendre la façon d’être des gens si on ne comprend pas bien le contexte.

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Est-ce que l’écriture de cette série est un acte citoyen, voire politique ?
J.-B. D. Je pense que oui. Je sais qu’on ne change pas le monde avec des petites chansons ou des petites histoires, et qu’on enfonce toujours le même clou en disant « La guerre et la haine, c’est pas bien », mais j’aime bien faire partie de ceux qui se relaient pour continuer à taper sur ce clou-là.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

« Julia von Kleist » (deux tomes parus) de Jean-Blaise Djian et Bruno Marivain, EP Editions, 13,90 euros.

© photo David Crochet

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