Laurent Galandon : « Le retour du guerrier »
Au lendemain de la Grande Guerre, 500.000 poilus blessés au visage ont dû réapprendre à vivre au sein de leur famille. Laurent Galandon s’est emparé du sujet pour réfléchir sur les traumatismes psychologiques de ces gueules cassées.
Quel a été le déclic qui vous a donné envie d’écrire cette histoire sur une gueule cassée ?
Laurent Galandon. Je m’intéresse depuis un moment à cette époque de l’Histoire.
Elle s’inscrit naturellement dans ma période de prédilection. Seulement de nombreuses bandes dessinées (de grande qualité) portent déjà sur ce sujet. Aussi attendais-je de trouver un « regard inédit » pour m’y atteler. Je ne me souviens plus précisément de l’élément déclencheur de ce récit. Depuis quelques années, on parle à nouveau des traumatismes des soldats au retour de conflits (Irak, Afghanistan…). Peut-être est-ce là qu’est né mon axe: le retour du guerrier, et, plus spécifiquement, le retour à l’intime, au quotidien. Les traumatismes psychologiques ont été prépondérants. Le fait que mon personnage soit une « gueule cassée » s’est imposé dans un second temps.
Dans le cahier documentaire inclus dans la première édition, on apprend que 500.000 poilus ont été blessés au visage. Est-ce une manière de leur rendre hommage ?
L. G. Non. Je m’inscris peu dans la commémoration ou l’hommage. Il s’agit plus modestement de rappeler une des nombreuses et horribles conséquences de la guerre. Il existe encore aujourd’hui une association pour les soldats gravement blessés au visage.
Avez-vous retrouvé des témoignages de certains de ces soldats mutilés ?
L. G. Je me suis essentiellement inspiré de lectures et de films. Imprégné de ses « témoignages » j’essaie ensuite de me « projeter » dans mon personnage principal pour gérer ses attitudes et ses réactions.
Votre héros, Félix Castelan, semble désabusé, mais aussi très lucide sur cette guerre qui l’a obligé à « porter un fusil pour de mauvaises raisons ». En revanche, on ne sent pas de colère en lui. Pourquoi ?
L. G. Il a déjà beaucoup « usé » sa colère dans les tranchées…
On peut regretter de ne pas en savoir davantage sur son passé, sur son caractère avant sa mobilisation ?
L. G. Regret qui sera soulevé au second tome ! Mais je ne peux vous en dire davantage ici sans risquer de dévoiler le suspens installé.
Sa vraie douleur, c’est d’avoir l’impression d’être un étranger parmi les siens. C’est même peut-être le thème principal de ce dyptique. Est-ce un thème encore d’actualité aujourd’hui ?
L. G. Je crois que c’est un sentiment que l’on peut encore rencontrer aujourd’hui. Qui n’a pas un jour retrouvé un vieil ami d’enfance avec qu’il a partagé des moments inoubliables mais qui, lors de ces retrouvailles, ne reconnaît pas son ancien camarade. Parce que leurs chemins ont divergé socialement et/ou culturellement, parce que leurs expériences vécues ont été très différentes, les deux amis semblent être presque des étrangers l’un pour l’autre. Ce fossé sera peut-être encore plus profond si, en plus de la durée de la séparation, l’un d’eux a connu des expériences traumatisantes, de celles qu’il est difficile d’exprimer ou de raconter.
Félix cherche également sa place dans la société. Comment les poilus ont-ils été réintégrés ?
L. G. Les situations ont probablement étaient aussi nombreuses que les poilus revenus. En fonction de l’environnement social et familial de chacun, le retour devait prendre un ton spécifique. L’histoire de Félix Castellan n’est qu’une possibilité (basée, au demeurant, sur des cas vécus).
Parallèlement, une série de meurtres mystérieux agitent les habitants du village. Il était important de trouver une idée pour faire un peu respirer ce drame psychologique, pour offrir quelques planches de nature à Dan ?
L. G. Il s’agissait en effet de donner un peu de respiration mais pas seulement. Comme dans toute histoire, il faut mettre son personnage face à des difficultés et des situations inattendues : ici Félix connaît les affres d’un difficile retour à la vie civile et il est confronté à la présence de ce tueur d’animaux. Mais ce ne sont pas pour autant deux histoires séparées. Elles vont interagir davantage encore dans le second volume et influer sérieusement sur les décisions et les actes de notre héros. Notre histoire devait se situer dans un village indéterminé du sud de la France, moins impacté par les effets de la guerre pour renforcer le fossé entre Félix et les habitants de son village. Si nous l’avons situé dans les Pyrénées, c’est simplement qu’A.Dan est originaire de cette région et qu’il était heureux de la mettre en image.
Propos recueillis par Emmanuel LAFROGNE
« Pour un peu de bonheur » (tome 1. « Félix ») par Laurent Galandon et A.Dan. Bamboo Editions. 13,90 euros.