Hugues Labiano: « L’humanisme peut faire sortir de bien des guêpiers »

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Avec ce magnifique premier tome des « Quatre coins du monde », Hugues Labiano parvient à épouser le rythme du désert pour raconter la passionnante histoire des méharistes de l’armée française. On y redécouvre que le dialogue et le respect sont des armes de « pacification massive ».

Qu’est-ce qui vous a donné envié d’écrire sur ces compagnies méharistes sahariennes qui œuvraient notamment pour pacifier les tribus nomades ?
Hugues Labiano. C’est un sujet qui me passionne depuis pas mal d’années. Je ne me souviens plus trop de l’origine… C’est très certainement la lecture du roman de Joseph Peyré, « L’Escadron blanc ». J’ai immédiatement été fasciné par le monde saharien et j’ai fouillé dans les bacs des bouquinistes pendant des années pour trouver des livres assez rares, dont pas mal de carnets de route d’officiers. Ces lectures m’ont permis de découvrir le monde du désert. C’est pour cela que j’ai intitulé cette histoire « Les quatre coins du monde ». arton4251.jpgCela va bien sûr au-delà du Sahara, qui est un monde immense, mais clos avec ses quatre points cardinaux. Ce diptyque parle aussi des relations qui régissent les rapports entre les hommes. L’idée de base était de concilier le désert avec une certaine vision humaniste.

Est-ce plus intéressant de dévoiler un pan très méconnu de l’histoire ?
H.L. Bien sûr. La thématique était originale, ce qui n’est pas toujours très simple à trouver. Au-delà des compagnies méharistes, le désert n’a pas souvent servi de décor à des bandes dessinées. Ce qui m’intéressait aussi, c’était la relation très forte qui unissait les nomades aux officiers. Être méhariste, c’était se plonger totalement dans l’univers du désert. Les officiers et sous-officiers ne vivaient pas tous en fortin; la plupart appartenaient à des Groupes Mobiles, nomadisant avec leurs tirailleurs et goumiers, vivant sous la tente, pratiquant l’arabe et le tamacheq, la langue berbère des touaregs. Ils étaient bien loin de l’Occident. Je voulais aussi évoquer en filigrane, et sans tomber dans la caricature, la colonisation, les rapports complexes unissant « vainqueurs » et « vaincus », le respect qui, au-delà de ce clivage, peut exister. Connaissant le sujet après avoir passé des années à lire quasi exclusivement sur le désert, je pense être parvenu à cerner la psychologie du lieu et de l’époque. 



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Cela prouve aussi que la force n’est pas la seule méthode qui fonctionne pour faire respecter l’ordre et l’autorité…
H.L. Tout à fait. C’est ce que je pense et qui m’a séduit lors de la découverte de cet univers. Les officiers méharistes ne pouvaient de toute façon pas imposer leurs ordres et leurs idées par la force, car ils étaient formés par les indigènes eux-mêmes et étaient trop peu nombreux, puisque le rapport était d’un à cent. La mission méhariste n’a d’ailleurs jamais été d’obliger les nomades à changer de vie. Avec beaucoup d’intelligence, on leur laissait une liberté totale à condition qu’ils abandonnent leurs traditions de razzias et d’attaques de campements ou de tribus voisines et surtout qu’ils cessent tout trafic d’esclaves entre Soudan et Maghreb.

Aujourd’hui, est-ce que cette méthode pourrait être appliquée sur d’autres territoires ?
H.L. Très certainement. Les idées passent toujours mieux avec du dialogue et du respect. Si un officier français se faisait respecter, c’était d’abord parce qu’il était humain, ne faisait jamais moins que ce qu’il demandait à ses hommes et partageait leur quotidien. Il était une « image » positive de la France aux yeux de ceux-ci. Le message, c’est que l’humanisme peut faire sortir de bien des guêpiers. Ce n’est en tout cas pas pour moi une valeur désuète. Savoir que l’on peut être ami avec quelqu’un de différent représente quelque chose d’important. 


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Les soldats français sont tous volontaires et semblent répondre à un appel du désert. Est-ce aussi votre cas ?
H.L. À mon regret, je n’ai pas pu aller dans le Sahara. Aujourd’hui, vu que je suis plutôt attiré par la zone sous influence touareg (Algérie, Mali, Niger), il est dangereux d’y aller sans risques. Je remettrai ça à plus tard.

Graphiquement, cela a été un problème de ne pas y avoir été ?
H.L. Pas du tout. J’ai travaillé sur la tauromachie sans être torero (« Matador », 3 tomes) et sur la CIA sans avoir été agent (« Black Op », 6 tomes). Il faut juste être sérieux et pointu quand on s’attaque à un sujet. La connaissance reste primordiale. Après, j’aurais aimé aller sur place pour sentir l’atmosphère, les effets de la chaleur, la beauté du désert. J’ai beaucoup d’amis qui l’ont vécu et m’ont tous parlé d’une sensation assez unique. Pour revenir à la question, j’ai davantage envie d’y aller pour moi, pour ressentir cette magie que pour mon travail.


Vous êtes si précis dans vos dialogues que l’on se demande très vite si l’histoire que vous racontez s’est réellement déroulée…
H.L. Tous les détails techniques, tous les évènements sont tirés de la réalité, mais aucun personnage n’a existé. Je me suis inspiré de mes lectures pour créer mon « héros mythique » à moi. Tout est donc… inventé.

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Le capitaine Barentin, qui s’est engagé dans l’armée, se montre hostile à la mobilisation de 1914. C’est pour montrer que le désert peut transformer les hommes et les rendre plus sages ?
H.L. J’en suis persuadé. C’est ce qui ressort des écrits de ceux qui ont vécu longtemps dans et pour le désert. Sans parler des officiers méharistes, il suffit de lire Théodore Monod ou Roger Frizon-Roche. Aujourd’hui, on vit absolument l’inverse, abreuvé sans cesse d’informations de toute sorte, qui nous abrutissent, nous font perdre de vue l’essentiel et conduisent au formatage de la société. Eux étaient des électrons libres et n’avaient rien d’autre à faire que de chercher à survivre en cherchant de l’eau et de la nourriture pour eux et leurs chameaux. Ils prenaient bien des notes, cartographiaient le pays ou remplissaient des missions précises, mais se retrouvaient souvent seuls. Parfois, il n’y rien de mieux pour réfléchir. Cela impose une certaine philosophie.

Est-ce que vous avez essayé de retrouver ce rythme dans la manière de raconter votre histoire, car on prend vraiment plaisir à savourer ce premier tome ?
H.L. Je suis content, car cela ressort souvent dans ce que l’on a pu me dire ou que j’ai pu lire. Cela aurait été ridicule d’adopter un rythme effréné, des images éclatées et des dialogues modernes. Je voulais travailler sur le rythme, l’imposer au lecteur, le faire entrer à mon tempo dans l’histoire, jouer sur les pauses, les hésitations… Et les regards, qui sont un peu mon dada. J’ai alterné moments de pause au coin du feu et scènes de combat, brèves et violentes. Tout a été choix. Et c’est parfois douloureux de choisir, mais je ne peux pas voir les choses différemment.

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Graphiquement, est-ce un défi de raconter une histoire qui se déroule uniquement dans le désert ?
H.L. Des copains m’ont un peu chambré en me disant que j’avais choisi le désert pour travailler vite. C’est vrai que cela peut permettre de faire des pages relativement rapidement, mais bien faire le désert est très difficile. Je l’ai découvert en dessinant cet album. Parmi les difficultés rencontrées, il y avait aussi ce besoin de bien typer chaque personnage ce qui n’est pas évident quand les nomades portent des chèches la plupart des temps et les officiers sont tous en uniformes. Il fallait qu’ils soient malgré tout reconnaissables. Une gageure.

Vous évitez la monotonie grâce à subtil travail sur la lumière…
H.L. Pour avoir feuilleté un grand nombre de livres de photos, j’ai remarqué que le désert offrait des couleurs bien plus variées que l’on pouvait imaginer. Mon coloriste Jérôme Maffre a fait un gros travail à partir de mes encrages rehaussés au lavis. Un travail intelligent et subtil, dont je suis absolument ravi. Il est pour une grande part dans l’impact visuel de l’album.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Les quatre coins du monde » par Hugues Labiano. Dargaud. 14,99 euros.

– Lire également la critique de l’album.

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