David Chauvel : « Une histoire d’amour tragique »

Au travers de la quête épique du « Masque aux mille larmes », qui permettrait de ramener les morts à la vie, David Chauvel raconte une tragique histoire d’amour dans un Japon médiéval magnifiquement dessiné par Roberto Ali.

Qu’est-ce qui vous plait dans ce Japon médiéval ?
David Chauvel. Dès lors qu’on s’aventure sur un univers qui n’est pas celui qu’on connaît au quotidien, il y a forcément derrière un désir très infantile d’appropriation, et je crains de ne pas y avoir échappé. « Le masque aux mille larmes » est un projet qui a vécu plusieurs vies, avec plusieurs dessinateurs qui, pour des raisons diverses et variées, ont jeté l’éponge. Il est donc assez ancien, ce qui fait que j’ai un peu de mal à me souvenir de ma motivation première… Je pense qu’il y avait avant tout un désir esthétique, probablement motivé par mes nombreuses lectures de mangas tels que « Vagabond », « Lone Wolf & Cub », « Ikkyu », « L’honneur des samouraïs »… Et le visionnage à grande échelle de nombreux films japonais d’époque et notamment la très réjouissante série des « Zatoïchi », interprétée par l’immense Shintarō Katsu. Enfin, je crois que j’avais très envie de voir mis en scène le bestiaire infernal japonais, qui est visuellement incroyable. Mais je ne voudrais pas trop en dire sur le second volume…

Est-ce que cette histoire aurait pu se dérouler dans un autre lieu et/ou à une autre époque ?
D.C. Oui. Totalement. Je ne vois aucun élément qui ne soit pas transposable dans un univers totalement différent, pourvu qu’il reste de type « médiéval ». Bien que je n’y ai pas fait plus attention que ça au moment de l’écriture, c’est le mythe d’Orphée et Eurydice revisité, dans une certaine mesure (mais avec des différences notables). L’idée que la douleur consécutive à la perte de l’être aimé puisse être si insupportable qu’on est prêt à n’importe quelle folie pour y mettre fin et le faire « revivre », est vieille comme le monde.

En feuilletant l’album, on devine un récit plein d’action. En le lisant, on découvre une belle histoire d’amour. C’est même le thème principal, non ?
D.C. Oui. Totalement. Je crois qu’en fait, davantage que l’intrigue proprement dite ou que l’univers, mon désir premier était d’écrire une histoire d’amour. Tragique, tant qu’à faire, puisque les trains qui arrivent à l’heure n’intéressent personne. Ça ne m’était pas arrivé depuis « Ring Circus » et j’avais très envie d’explorer la situation d’un personnage qui aime en silence, de manière inconditionnelle, totale, sans espoir d’amour en retour.

« Le masque aux mille larmes » traite aussi du deuil et de la reconstruction. C’est un thème délicat à traiter dans une série grand public ?
D.C. Quand j’écris un scénario, je ne me pose pas la question de savoir si le livre qui en résultera un jour sera grand public ou non. J’écris. Du mieux que je peux et aussi sincèrement que possible. Je ne pense pas que le « genre » interdise des thématiques plus intimes ou plus « difficiles » que d’autres. Tout est possible et est affaire de traitement.

Il y a aussi une discussion sur la tolérance où Masamura explique le repli sur eux-mêmes des paysans par la difficulté de leur vie. Ce sont des messages que vous cherchez à intégrer au récit ou qui s’imposent pour donner davantage de vie à vos personnages ?
D.C. Je me souviens m’être dit que j’allais certes faire un récit de genre, mais que je devais essayer de remonter mon propre niveau d’exigence, quant à la profondeur des personnages ou de leurs conversations. J’avais très à cœur de dépasser le simple commentaire, plus ou moins habile, des faits et gestes des personnages. Ce genre de considération en est clairement un exemple.
À travers le personnage de Masamura, j’ai également pu explorer ce que signifiait le fait de donner la mort. On part toujours du principe que dans ces mondes anciens où la guerre et la mort violente étaient chose courante, le fait de tuer allait de soi. Je pense que comme à notre époque, tuer un homme de ses propres mains, quand bien même pour sa défense ou sa survie, était un acte traumatique. C’est ce genre de choses que j’ai essayé d’essaimer dans ce récit qui est donc du genre qui s’assume comme tel, mais avec, peut-être, j’espère, une touche plus personnelle et parfois, rêvons un peu, plus inattendue.

Pourquoi Roberto Ali était le dessinateur idéal pour cette aventure ?
D.C. Parce qu’en plus de ses incroyables qualités de dessinateur réaliste, Roberto avait très envie de s’immerger, graphiquement parlant, dans cet univers que, comme moi, il a tant aimé en tant que lecteur ou spectateur. La qualité de son travail sur les décors, la mise en scène, les costumes, les personnages… donne à voir l’amour sincère qu’il porte à ce Japon ancien fantasmé.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Le masque aux mille larmes, Tome 1. La mort marche avec moi » par David Chauvel et Roberto Ali. Dargaud. 14,99 euros.

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