Hervé Bourhis: «Moins d’humour, plus de thriller»

On adore Hervé Bourhis pour ses livres sur la musique, ses histoires humoristiques tels « Le Teckel » ou « Animal Social Club », sa parodie de Star Wars « Naguère les étoiles » ou son récent «  Mon Infractus (quand j’étais DJ) ». Avec « American Parano », une enquête dans les milieux sataniques du Los Angeles des sixties, on le découvre tout aussi talentueux dans l’exercice du polar.

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« American Parano » est votre premier polar. C’est une envie que vous aviez depuis longtemps?
Hervé Bourhis. Pas du tout, mais je me suis rendu compte qu’à force de regarder des films et des séries du style, j’ai eu envie de m’y coller, pour voir si je saurais.

C’est un exercice très différent?
H.B. Pas vraiment sur la structure, ça reste une histoire qu’on veut rendre passionnante. Le suspense, l’enquête, l’ambiance, ça reste techniquement un travail scénaristique. On déplace les curseurs différemment. Moins d’humour, plus de thriller. On gère les pistes et les fausses pistes. On joue avec les codes. Franchement, c’est différent sans l’être. Et puis, finalement, « Le Teckel », c’est une sorte de polar.

Quelles sont les principales difficultés?
H.B. Je n’avais aucune connaissance sur la police étasunienne, et de surcroît sur le SFPD, la police de San Francisco. Son organisation, son histoire. Comment elle fonctionne avec le fédéral. Ensuite, il a fallu bosser sur la ville en 1967, mais ça, j’avais ce qu’il fallait en documentation. Et puis on a revu des films et des séries. Ensuite, il a fallu bosser sur le satanisme local, les structures et le contexte religieux du coin,… Mais pour ce qui est du scénario en lui-même, franchement, j’ai fait ça à l’instinct, pour m’amuser. Avec ma petite expérience dans le domaine, à force…

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Quelles sont vos références en matière de polar?
H.B. Franchement pas grand-chose. Côté roman, quasiment rien à part John Fante et James Ellroy. Et les faux polars de Pouy et Boris Vian. Ah si, des Simenon, des Boileau-Narcejac, des trucs comme ça. Mais généralement, un polar me tombe des mains. C’est surtout l’audiovisuel qui m’a influencé. Je vous épargne la liste de films et de séries, mais ça va de David Fincher à « Columbo ». « The Wire », « True Detective », David Lynch aussi, « Fargo »,… Comme tout le monde, quoi. Il y a beaucoup de références cinéma dans « American Parano » : « Bullit », « Vertigo », « Dirty Harry ». Tout ce qui se passe dans cette ville.

Le vrai point de départ du projet fut une biographie d’Anton Lavey, le pape du satanisme californien.

Comme mentionné en quatrième de couverture, vous vous inspirez de faits réels pour écrire vos intrigues. C’est une façon de rendre votre série plus crédible?
H.B. C’est à dire que le vrai point de départ du projet fut une biographie d’Anton Lavey, le pape du satanisme californien. À l’origine, je voulais en faire un biopic, et puis le type ne me plaisait pas assez pour ça. Je me suis dit que je pourrais m’inspirer de lui pour en faire un méchant de fiction. Et comme tout ce qui le concerne dans le diptyque est proche de la réalité, on a tenté de garder ce ton réaliste pour le projet global. Enfin un réalisme relatif, ressenti. Tout ce qu’on raconte est inventé, sauf donc la vie du méchant Baron Yeval.

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Cette première enquête se déroule dans le milieu du satanisme à San Francisco à la fin des années 60. Qu’est-ce qui vous intéressait dans cette « Église de Satan »?
H.B. Le côté incongru, toc. Très sixties. Il faut voir les photos de la crypte de la black house où il faisait ses pseudo messes noires. On se croirait plus dans « Batman 66 » ou dans « Scoobi-doo ». Et puis que ce type surgisse en plein flower-power, c’est inattendu. C’est intéressant.

Raconter une énième histoire de mecs ne m’intéressait pas. C’était bien plus intéressant de créer un personnage qui serait peut-être la première femme officier flic étasunienne. Ce qu’elle a dû endurer.



Dans les années 60, il y a peu d’inspectrices. Pourquoi ce choix de Kim Tyler comme personnage principal?
H.B. Depuis mes tout débuts, mes histoires ont très souvent des personnages féminins principaux. C’est le cas pour « Comix Remix », « Hélas », « Un enterrement de vie de jeune fille », « Et nos lendemains seront radieux », « Juniors », « Animal Social Club »,… Ou alors il y a des personnages secondaires féminins forts.
Bref, raconter une énième histoire de mecs ne m’intéressait pas. C’était bien plus intéressant de créer un personnage qui serait peut-être la première femme officier flic étasunienne. Ce qu’elle a dû endurer. On était d’accord avec Lucas pour qu’elle soit un peu « boring », républicaine, pas du tout sexy. C’est plus crédible, en plus. Avec le recul (j’ai écrit ça en 2020, pendant le premier confinement), j’ai sans doute eu l’influence inconsciente du « Silence des agneaux », avec Jodie Foster, face à Hannibal Lecter. Il fallait également une femme face à Baron Yeval. Parce qu’il y a un climat de séduction-répulsion qui s’installe, c’est plus intéressant.

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Pour un grand fan de musique comme vous, situer votre histoire pendant les années hippies avait une résonance particulière?
H.B. Oui, mais j’ai plus fait ça contre ce qu’on attend de moi. Ce n’est pas un prétexte pour parler de musique, j’ai assez l’occasion de le faire par ailleurs. C’est bien un polar. On voit très peu les hippies dans le tome 1, ils ne sont qu’un élément du décor. D’ailleurs ils n’étaient que dans un quartier, à Aight-Ashbury. La plupart des habitants de la ville ne les côtoyaient pas à l’époque. C’est notre éditeur Doug Headline qui a eu l’idée de la radio, qu’on entend régulièrement, qui permet d’ajouter du contexte. Ça m’a poussé à faire des recherches sur la météo précise de ce jour, l’actu, les matches de base-ball. À ce niveau-là, on est dans l’ultra-réaliste. S’il pleut dans le bouquin dans une scène, c’est qu’il pleuvait vraiment le 27 mai 1967 à San Francisco !

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Le prochain diptyque aura également un thème très fort comme toile de fond?
H.B. D’abord, ça sera un tome auto-conclusif, pas un diptyque. Ça se passe à New York, un an après. Oui, évidemment, on va faire en sorte que chaque tome soit autour d’un événement mythique de l’histoire des USA. Chaque histoire explorera un aspect de la face sombre de l’histoire du pays. Et à chaque fois, on suit la vie personnelle et la carrière de Kim Tyler. Le tome 4 est d’ailleurs déjà écrit.

Vous aimeriez une série assez longue pour développer davantage le personnage de Kim Tyler?
H.B. Oui, le but est de la suivre jusqu’à sa retraite au début des années 2000. J’ai écrit des pitches d’histoires se passant dans les décennies 70 à 2000. Mais pour ça, le public doit suivre, et ça n’est pas de notre ressort !

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« American Parano , Tome 2 – Black House» par Hervé Bourhis et Varela. Dupuis. 16,50 euros.



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