Hervé Bourhis: «Le thé à 5 heures et le punk»

Dans son nouveau et toujours indispensable petit livre, Hervé Bourhis dresse un large panorama de la culture pop britannique depuis le début des sixties. Largement consacré à la musique, «Le Britbook» s’intéresse également au cinéma, aux séries, à la mode ou à l’architecture avec de nombreuses anecdotes. Un voyage passionnant de l’autre côté de la Manche.


Après le rock, les Beatles, la black music ou la bande dessinée, vous vous focalisez sur la pop culture anglaise. C’est quelque chose qui a beaucoup compté pour vous?
H.B.
Oui, c’est une déclinaison du Petit livre rock, mais qui ne se focalise pas uniquement sur la musique. L’un des aspects de la culture pop britannique est sa cohérence. À chaque période, on se rend compte que les musiciens, les stylistes, les photographes, les architectes, les designers se connaissent, travaillent entre eux. C’est plus une question de génération que de domaines d’expression. Donc, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose de plus global. Et de mélanger tradition et modernité. Le thé à cinq heures et le punk, quoi. Parce que malgré tout, Johnny Rotten et Joe Strummer arrêtaient tout pour un thé. C’est par exemple moins vrai pour les artistes français et le fromage (sourire).


Vous avez été moins imprégné par la culture américaine ? Est-ce qu’un USbook est envisageable?
H.B.
Il y a plusieurs choses. La culture étasunienne, c’est un archipel de cultures. La Louisiane n’a rien à voir avec Boston, qui n’a rien à voir avec le Texas et la Californie. Le Royaume-Uni, c’est plus compact, plus cohérent. Ça ne veut rien dire, la culture des USA, c’est difficilement synthétisable. C’était d’ailleurs le propos de mon livre « La Maison blanche », sur les Présidents des USA. Il y a au moins deux USA, depuis la guerre de Sécession. Et puis la culture étasunienne est partout en France, c’est moins exotique. Depuis le plan Marshall, on est sous influence américaine. Un peu moins visiblement sous influence anglaise, mais c’est parce que ce sont nos ennemis héréditaires, je vous rappelle. Non je ne vois que trois autres pays/régions pour lesquels je pourrais faire ça : La Belgique, le Japon et le Québec. En sachant que le Japon, je n’y suis jamais allé, et je n’y connais pas grand-chose, donc je ne le ferai pas. Mais il a cette cohérence culturelle qui collerait avec le procédé.


Est-ce qu’il a été facile de retrouver toutes les informations et anecdotes publiées dans le livre?
H.B.
Comme pour les autres. Je commence par des mois de documentation. Mes propres bouquins, la médiathèque, des achats, internet, des vidéos, podcasts… Et pour la partie plus contemporaine, je me suis fait aider par Marion Sosnowicz, une amie qui vit à Londres depuis des années, et que j’ai bombardé de questions ! Et puis j’y suis allé plein de fois, j’ai été abonné pendant des années à The Face, le NME,… J’en bouffe depuis très longtemps.

Certaines stars sont dessinées de façon réaliste tandis que d’autres sont davantage caricaturées. Est-ce pensé dans l’organisation de la page afin d’offrir de la variété dans le dessin?
H.B.
Voilà, j’imagine ces livres comme un magazine. Avec ses rubriques, mais aussi ses éditoriaux, ses brèves, ses dessins d’humour…

Les deux tiers du « Britbook » sont consacrés à la musique. C’est une passion encore plus grande que la bande dessinée?
H.B.
La bande dessinée, c’est mon secteur d’activité, c’est ma vie, c’est mon moyen d’expression. La musique, c’est mon hobby. Et ça l’est resté, avec tout ce que ça comporte comme naïveté, comme magie préservée. J’ai fait 50 bouquins, et c’est mon gagne-pain. Forcément, j’ai moins de naïveté à ce niveau-là, même si ça me passionne toujours autant d’en faire. Moins d’en lire, c’est vrai.


Les choix ont été difficiles, pour le livre mais aussi pour la longue playlist publiée en fin d’album?
H.B.
Pour la playlist, non, ça va, je n’avais pas trop de limites. La difficulté, c’était plutôt dans le choix du disque de l’année, et celui du cul de lampe en page 4 de chaque année. Varier les styles, faire attention à la parité homme-femme, varier les thèmes, les genres musicaux,… Que ça dresse un vrai panorama.


On a le sentiment que vous n’avez pas cherché à être absolument objectif et que vous en avez aussi profité pour mettre en lumière vos coups de cœur comme par exemple des groupes comme Super Furry Animals ou The Auteurs…
H.B.
Il y a les deux. Il y a le souci de parler de l’évolution de la société, de la politique, de la culture britannique. On parle aussi d’un déplacement du soft-power anglais. Aujourd’hui par exemple, la musique anglaise, à part Adèle, Coldplay et Ed Sheeran, n’est plus hyper exportée. À ce niveau-là, l’Angleterre est bien redevenue une île. Le cinéma anglais n’existe plus, chaque fleuron a été racheté par des groupes internationaux (le secteur automobile,…). En revanche, ils sont toujours fort en séries TV, en design, et en « fooding ». Londres est même la capitale de la bouffe. Ce qu’on n’aurait pas imaginé il y a vingt ans. Donc il y a quand même un souci de faire un panorama réaliste de la situation. Et dans ce cadre, je donne mon avis par ci par là. Mais à l’époque du « Petit livre rock », je n’aurais jamais mis les Spice Girls et Adèle en disque de l’année. Aujourd’hui, ça me semble évident. Parce que la « crédibilité rock » ne veut plus dire grand-chose en 2023. Les facteurs sociétaux sont primordiaux. Or les Spice Girls ont été un phénomène socio-culturel indéniable. Bien plus important que Blur, que je préférais à l’époque.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

«Le Britbook» par Hervé Bourhis. Dargaud. 25,50 euros.

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