Hélène Constanty: « Des rebondissements dignes d’un polar »

Connu pour sa famille royale ou son grand prix de Formule 1, Monaco est aussi un petit paradis fiscal où les magouilles permettent aux plus riches d’être encore plus riches. Avec « Monaco, luxe, crime et corruption », la journaliste Hélène Constanty dévoile quelques secrets de la principauté à travers deux affaires policières passionnantes.

Journaliste d’investigation, vous écrivez pour Mediapart et réalisez des documentaires pour la télévision. Pourquoi aujourd’hui la bande dessinée?
Hélène Constanty.
J’ai découvert la BD d’enquête en travaillant pour La revue dessinée, avec un premier récit sur Hélène Pastor, la femme la plus riche de Monaco, assassinée avec son chauffeur en 2014. Je me suis immédiatement passionnée pour ce média, qui ouvre des perspectives infinies de récits, à la frontière entre le réel et la fiction. Les personnages prennent vie, on peut reconstituer des scènes. Tout ce que je raconte est vrai et pourtant on a l’impression de voir un film. La collaboration avec Thierry Chavant a été très fructueuse.

Dans l’avant-propos de l’album, vous racontez avoir eu un choc lors de votre première visite à Monaco…
H.C.
Je n’étais jamais allée dans la Principauté avant de m’installer sur la Côte d’Azur. J’en avais l’image qu’en donnent les magazines people : la relève de la garde devant le palais princier aux allures de bonbonnière, les mariages fastueux, le Grand prix de Formule 1 et les galas de charité où se pressent les grandes fortunes. J’ai été stupéfaite de découvrir une petite ville toute bétonnée, un front de mer bordé d’immeubles de 20 étages, des souterrains pour la circulation automobile, des caméras de vidéo-surveillance partout et un étalage incroyable de richesse. Vous n’imaginez pas le nombre de Bentley et de Ferrari qui circulent dans les rues.

Vous mettez en scène votre propre enquête sur deux affaires judiciaires qui ont bousculé la principauté. Vous vouliez que cela ressemble un peu à un polar?
H.C.
L’assassinat de la milliardaire Hélène Pastor et de son chauffeur Mohamed Darwich s’est produit alors que je travaillais pour L’Express. J’ai donc couvert l’enquête policière et les deux procès aux assises d’Aix-en-Provence, qui m’ont beaucoup intéressée. C’est une affaire de famille et d’argent, un double assassinat motivé uniquement par l’appât du gain, avec des personnages incroyables : les tueurs ont été recrutés dans les quartiers les plus pauvres de Marseille par le coach sportif du gendre de la milliardaire. L’autre histoire que je raconte est une affaire de corruption, toujours en cours d’instruction à Monaco, qui met en scène un oligarque russe, un marchand d’art suisse, des ministres et des responsables policiers. Avec en effet des rebondissements dignes d’un polar.

C’était aussi le moyen idéal pour réussir à donner beaucoup d’informations, notamment chiffrées, sans être trop didactique?
H.C.
C’est la magie de la BD. Ces deux affaires spectaculaires me permettent de dévoiler les fondements sur lesquels repose la prospérité de Monaco. La principauté attire les nouveaux riches du monde entier grâce à une fiscalité réduite à sa plus simple expression : 0% d’impôt ! Les chiffres donnent le vertige : un tiers des habitants de Monaco sont millionnaires. Et l’immobilier est le plus cher du monde : 48.800 euros le m2. A ce prix-là, il faut compter 2,5 millions pour acheter un deux pièces.

Vous racontez l’assassinat de la femme la plus riche de la Principauté puis un scandale de corruption lié au milliardaire russe Dmitri Rybolovlev. Ces deux affaires sont emblématiques du fonctionnement de la principauté?
H.C.
Au-delà du fait divers, l’assassinat d’Hélène Pastor m’est apparu très révélateur des secrets les mieux gardés de la Principauté, dont on ne parle pas dans les magazines en papier glacé. La famille Pastor a fait fortune dans l’immobilier. Or, les prix délirants de l’immobilier sont justement l’une des clés pour comprendre le fonctionnement de la Principauté. Quant à l’oligarque russe Dmitri Rybolovlev, le patron du club de foot, par qui le scandale de corruption a éclaté, il est l’illustration de cet attrait qu’exerce toujours Monaco pour les grandes fortunes et de la bienveillance, c’est le moins que l’on puisse dire, dont bénéficient les riches et les puissants.

Il a été difficile d’aller chercher des informations, de rencontrer des personnes importantes pour votre enquête?
H.C.
A Monaco, l’information est verrouillée, contrôlée. Les gens ont une peur bleue de parler aux journalistes. Ils craignent de dire un mot de travers qui serait interprété comme une critique du Prince et de ses institutions et leur vaudrait d’être mal vu, de tomber en disgrâce. Ce qu’il y a de pire dans toutes les cours princières. Mais au fil des ans, j’ai réussi à me constituer un petit réseau de quelques bonnes sources.

Votre conclusion sur l’affaire Rybolovlev n’est pas trop optimiste pour la justice…
H.C.
Au moment où j’écrivais mon texte, le juge d’instruction français, en poste à Monaco, chargé de l’affaire Rybolovlev, a été écarté. Son détachement n’a pas été renouvelé et il a dû, contre son gré, quitter la Principauté. Depuis, les juges qui ont repris le dossier ont procédé à de nouvelles mises en examen. Donc soyons optimistes et espérons que la justice suivra sereinement son cours.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Monaco, luxe, crime et corruption » par Hélène Constanty et Thierry Chavant. Soleil. 17,95 euros.

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