Gihef: «Réécrire l’Histoire de manière cohérente et bluffante»

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Dans la lignée des uchronies de « Jour J », également chez Delcourt, la série « Complot » réécrit certains événements historiques majeurs. Son instigateur Gihef dévoile cet excitant nouveau concept et parle de l’excellent premier tome centré sur le krach boursier de 1929.

Quel est le concept de « Complot »?
Gihef. Il est né de façon assez rigolote en fait. J’étais dans un bar avec des amis et on avait appris la veille que Ben Laden avait été « éliminé ». Ce qui a suscité pas mal d’échanges entre les gens présents au bar, dont certains (les échanges) particulièrement farfelus. Ça m’a frappé, je me suis rendu compte que les gens aimaient élaborer des théories fumeuses sur tout et n’importe quoi. Grâce à un ami commun (et à cette époque-là, éditeur chez Glénat), Alcante et moi sommes entrés en contact et avons discuté du sujet. Nous nous connaissions déjà auparavant et la franche camaraderie qui nous unissait déjà a été un excellent catalyseur. L’idée lui a plu et nous avons élaboré le concept ensemble. Je dois dire que son expérience sur « Pandora Box » m’a pas mal aidé à y voir rapidement plus clair. Le concept en lui-même est extrêmement simple: derrière chaque événement historique se cache une vérité occultée. À partir de là, tout est pour ainsi dire permis.

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Quand on pense complot, les premiers sujets qui nous viennent à l’esprit sont plutôt l’assassinat de Kennedy ou les attentats du 11 septembre 2001. Il était important de proposer quelque chose de plus original ?
G. Oui, car les théories déjà maintes fois relatées n’auraient eu que très peu d’intérêt au final. Au départ, j’avais proposé le synopsis d’une histoire remettant en question la mission Appollo 11 (les premiers pas sur la lune). Mais le sujet avait déjà été traité mille fois et je n’y avais pas apporté grand-chose d’innovateur (même si mon histoire comportait quelques scènes que j’aurais aimé voir dessinées). Delcourt m’a demandé de travailler sur un sujet moins consensuel et c’est comme ça que j’ai songé au krach boursier de 1929. Alcante, quant à lui, avait déjà élaboré son album sur le Titanic qui a été immédiatement retenu.

Est-ce que certains sujets, comme les attentats du 11 septembre 2001 par exemple, seraient aujourd’hui trop délicats à traiter ?
G. Oui, et pour plusieurs raisons aussi différentes qu’évidentes. Tout d’abord, nous risquons d’être contraints de mettre en scène des personnalités encore vivantes aujourd’hui.
Il est plus aisé de faire croire à certaines réactions d’une personnalité publique lorsque celle-ci n’est qu’un vague souvenir dans l’esprit des gens. Qui se soucie de la façon dont pouvait parler JP Morgan Jr ou John D. Rockefeller de nos jours ? Mais impliquer des personnalités comme Ben Laden ou Lady Di est une affaire beaucoup plus délicate, car ils sont encore trop présents dans l’esprit des gens.

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Comment s’est effectué le choix des premiers sujets : le krach de 1929, la fin des templiers, la bataille de Hamburger Hill au Vietnam et le naufrage du Titanic ?
G. Pour le krach de 1929, c’était un second choix, un fantasme, presque une chimère. Je suis très fier de cet album car il a été extrêmement compliqué à mettre en place, malgré les apparences, et je suis parvenu au bout de la chose. Non sans l’aide de mon coauteur Alcante (qui a des connaissances plus approfondies en économie et s’est assuré que l’entourloupe était plausible) et de l’éditeur, qui m’a poussé à opter pour quelque chose de clair et vraisemblable.

La « Bataille d’Hamburger Hill » tenait plus d’un vieux fantasme que j’alimente depuis plusieurs années: faire mon « Platoon » en BD. Même si l’événement en lui-même ne parlera pas à beaucoup de monde, en comparaison avec les autres sujets du premier cycle, je me suis amusé à mettre tout ce qui me fait « fantasmer » dans la Guerre froide de l’époque. On y évoque aussi bien l’assassinat de Kennedy, que le programme MK-Ultra ou l’absurdité du conflit sous la présidence de Nixon. Et paradoxalement, à mon sens, c’est le sujet qui correspond le mieux à la « charte » de la série.

En ce qui concerne les deux autres sujets, le mieux serait d’interroger Alcante. Mais vu que le second tome, scénarisé par ses soins, sort en août, ce sera une bonne occasion de remettre le couvert avec lui (sourire).

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Est-ce que vous vous êtes fixé un cahier des charges bien précis ?
G. Oui, forcément. Nous avons décidé de donner une interprétation différente à de célèbres événements historiques. Il fallait avant tout que nous soyons crédibles dans nos propos. Nous devions refaire l’Histoire, mais de manière cohérente et bluffante. J’ai appris énormément de choses sur des périodes qui me passionnaient déjà d’un point de vue historique, en réalisant les deux albums qui m’ont été octroyés sur le premier cycle.
C’est un aspect très stimulant du métier de scénariste. En tout cas, moi ça m’éclate.

Qu’est-ce qui vous a aiguillé sur le krach de 1929 et ses possibles ramifications avec le parti nazi d’Hitler ?
G. Lorsqu’on commence à travailler sur ce genre de récit, on récolte énormément d’infos (grâce en grande partie à Internet, il faut l’avouer). On virevolte de lien en page et vice versa. On voit défiler des dates « clés », on s’amuse à les compiler. À partir d’un moment, ça devient vraiment de la cuisine improvisée. On se lâche et on se permet tout. Puis, on se relit et on trouve des cohérences là où il n’y en a pas nécessairement. C’est exactement comme ça que je me suis amusé à relier deux événements majeurs et interpellants des années 20-30 : la Grande Dépression et la montée du nazisme.

Au-delà de ça, j’ai lu quelques théories qui allaient pas mal dans le sens des choses décrites dans l’album. Ça a été un stimulus supplémentaire.

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Écrire un album au sujet d’un complot financier sans être jamais ennuyeux ou didactique, c’était un défi ?
G. Le défi, c’était déjà d’écrire sur un sujet dont je ne connaissais pour ainsi dire rien au départ, si ce n’est ce que j’ai brièvement appris au collège en cours d’histoire, comme tout le monde. Mais je suis vite passionné lorsqu’un thème me « parle ». J’ai donc récolté un maximum d’informations pour fomenter l’intrigue. Mais je ne suis pas économiste, j’ai donc opté pour une mécanique assez simple au final, qui ne serait plus concevable de nos jours, mais qui était très plausible à l’époque. Cette simplicité m’a permis d’agrémenter le récit de quelques intrigues connexes mais toutes reliées au sujet central, de façon à rendre tout ça plus « ludique » et renforcer les enjeux dramatiques. Surtout au niveau humain, c’est ce qui m’importe le plus dans une histoire.

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Au-delà de la fiction conspirationniste, cet album aborde également un fait historique majeur. Cette fonction pédagogique est importante pour vous ?
G. La fonction pédagogique est un « plus ». Ce qui nous intéresse avant tout, c’est de divertir le lecteur. Cette série n’a aucune autre ambition. Je ne voudrais pas qu’on s’attende à une vraie série historique et qu’on vienne nous reprocher de prendre des libertés quant à certains événements car c’est là le but tout avoué du concept.

Les complots reposent toujours sur des infos malmenées, souvent poussées jusqu’à l’absurde, mais cela stimule l’imagination des gens. Et ça, ça me plaît.

Quatre tomes sont déjà prévus jusqu’en avril 2015. D’autres sont en projet ?
G. Pour ce qui est d’une suite aux quatre albums prévus, nous n’en savons encore rien. Ce seront les ventes du premier cycle qui détermineront si Delcourt décide de nous faire confiance pour une seconde fournée. Mais il est clair que nous avons encore plein d’idées à développer sous le coude.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Complot 1 », tome 1. « Le Krach de 1929 » par Gihef, Alcante et Luc Brahy. Delcourt. 14,95 euros.

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