Aurélien Ducoudray: «Une fiction documentaire»
Ancien journaliste, Aurélien Ducoudray s’est d’abord appuyé sur une documentation rigoureuse pour écrire « Yézidie ! ». A partir d’une histoire vraie assez incroyable, il a ensuite inventé le périple plausible de deux jeunes yézidies enlevée par Daech et vendues comme esclaves. Un récit coup de poing adouci par le dessin tout en rondeur de Mini Ludvin.
Est-ce que « Yézidie » est inspiré d’une histoire vraie?
Aurélien Ducoudray. Je m’intéressais aux YPG, les groupes d’interventions kurdes qui luttent contre Daech, et suis tombé sur l’histoire de l’oncle que l’on retrouve dans la bande dessinée. Depuis chez lui, ce monsieur rachetait des jeunes filles yézidies à Daech. Avec seulement trois ou quatre téléphones portables, il réussissait à sortir ces jeunes filles de l’enfer. On était dans un film de guerre mais sans aucune explosion ou bataille. J’ai trouvé cela totalement hallucinant. J’avais envie d’en faire une histoire mais ce n’était pas suffisant. J’ai alors trouvé la deuxième partie assez facilement. Il était assez logique de raconter le calvaire de deux jeunes filles.
Vous avez donc greffé une fiction sur une histoire vraie…
A.D. J’écris deux types d’histoire. Il y a les fictions complètes et celles qui viennent du documentaire et que je transforme en fiction. Je reviens toujours à ces dernières. Je retrouve alors des réflexes de journaliste. Je me documente beaucoup. Je pense avoir lu la majorité des bouquins de témoignages de yézidis ou qui traitent des combattants des YPG. Durant cette période, pendant deux à six mois, je peux lire ou regarder tout ce que je peux trouver sur le sujet. Cela devient une espèce d’obsession jusqu’au moment où je décroche et que la fiction arrive.
Pour un sujet aussi grave, on ne s’attend pas forcément à un dessin aussi cartoon…
A.D. Je trouve qu’un dessin réaliste n’a pas beaucoup d’intérêt pour des sujets très documentés comme celui-là. Une photo réelle ou un documentaire seront toujours plus forts et plus puissants. Le trait réaliste ne m’intéresse vraiment pas du tout. Je préfère l’expressionnisme. La bande dessinée a un langage et une sorte de paravent graphique qui permet d’aller dans des situations vraiment très dures sous un vernis qui peut être beaucoup plus agréable. On peut raconter des choses difficiles sans choquer le lecteur et le faire lâcher l’album. Quand vous regardez une photographie d’un reportage insoutenable, à un moment donné, vous refusez l’information. La bande dessinée permet de passer au-delà de ça. C’est aussi une manière d’accompagner le lecteur d’une manière agréable dans des endroits qui ne le sont pas. Ça permet aussi d’aller encore plus loin.
Est-ce difficile de se mettre à la hauteur d’adolescentes pour bien incarner leurs personnages?
A.D. On m’a dit une fois que j’écrivais toujours sur des enfants ou des adolescents. Je crois en effet que c’est la moitié de ce que j’écris. Les adultes commencent par avoir des valeurs. Les enfants sont plus ambigus, car ils sont encore vierges de pas mal de choses et peuvent alors parfois faire de très mauvais choix avec de très bonnes raisons.
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)
« Yézidie ! » par Aurélien Ducoudray et Mini Ludvin. Dupuis. 15,50 euros.