De Metter: « Je sème des pièces de puzzle »



Inspiré par « True Detective » et « Fargo », Christian De Metter se lance dans une grande série d’anthologie sur le thème de l’absence de corps et d’identité. Le premier épisode de cette saison 1 donne le ton avec une ambiance pesante sur fond (véridique) de programme d’infiltration par le FBI. On a hâte de reconstituer le puzzle !



« Nobody » est présenté comme une série télé avec une première saison en quatre épisodes. Qu’est-ce qui vous plait dans ce format ?
Christian De Metter. Les contraintes et la liberté. En fait, j’étais arrivé au maximum de la pagination possible avec mes one-shots, 160 pages sur « Au revoir là-haut », et j’avais besoin d’encore plus de liberté. Mais je sais également que j’ai besoin d’un cadre ou de contraintes pour écrire. Ce cadre, c’est le titre de la série, il me donne la thématique. nobody1.jpgL’idée c’est d’avoir des saisons avec cette thématique, mais avec la liberté de développer des personnages différents dans des lieux, des univers nouveaux à chaque fois. La saison deux se passera en Italie pendant les années de plomb avec d’autres personnages. Ce sera une saison « chorale » avec beaucoup de personnages autour d’un fait divers et donc une écriture différente.



Dans les premières pages de « Nobody », vous racontez un huis clos sur dix planches consécutives. Est-ce justement ce que permet ce format ?
Ch. De M. Le pari était de happer le lecteur avec une ambiance et un personnage forts. Le risque était bien sûr de me louper. Si ça marche, vous avez normalement envie d’en savoir plus sur cet homme qui s’accuse d’un meurtre, qui ressemble à un vieux biker, mais dont on apprend aussi qu’il a été flic. Bref, je sème des pièces de puzzle que je compte assembler au final en espérant que les lecteurs aient envie de tourner les pages. Le début doit poser tout cela.



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L’ambiance de ce premier tome me fait beaucoup penser à « True Detective ». Quelles ont été vos influences ?

Ch. De M. Cela a été le déclencheur ainsi que « Fargo ». C’est en les voyants que j’ai compris que je voulais écrire une série d’anthologie. C’est-à-dire une série dont le titre ne change pas, avec une thématique, mais avec des saisons différentes de par les lieux, l’époque, l’univers, le style d’écriture… Pour tout vous dire, j’ai en chantier quatre ou cinq saisons dont une qui pourrait se passer dans l’univers du foot et une autre dans un univers steampunk. Rien de définitif pour l’instant, mais j’aimerais bien pouvoir développer tout cela.



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Comment est né ce personnage de condamné à mort qui revient sur ses missions pour le FBI ?
Ch. De M. Une nuit d’insomnie encore une fois. Une histoire qui arrive comme ça et que je raconte à ma compagne. Sa réaction enthousiaste et surtout sa surprise quand je lui ai raconté la fin a été un signe que je tenais peut-être un truc à développer. L’idée était d’avoir plein de signes visibles sur la tête et le corps d’un homme nous entraînant vers d’inévitables préjugés puis d’entrer petit à petit dans sa tête, dans sa vérité où toutes les pièces s’assembleront au final pour voir la « vraie » vérité. Elle est souvent sous nos yeux.



C’est un personnage très complexe pour la psychologue qui l’interroge, mais aussi pour le lecteur. Il semble perdu ?
Ch. De M. C’est un homme qui s’est retrouvé piégé par le FBI et contraint à collaborer à Cointelpro, un programme d’infiltration d’organisations dissidentes aux États-Unis. Il va donc devoir mentir et se créer des personnalités différentes pour ces missions. Le problème c’est que cela lui arrive jeune et surtout à la suite du décès de son frère au Vietnam, une explosion d’hélico ne laissant aucun corps. Cette absence de corps l’empêche sans doute de faire son deuil et donc d’avancer. Au final, il ne sait pas qui il est, lui. Même son corps, censé refléter son histoire et donc qui il est, est un ensemble de mensonges.

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C’est la thématique de « Nobody »…
Ch. De M. On retrouve au premier niveau de lecture l’identité (nobody/personne) et l’absence de corps (no body) et sur un autre niveau une réflexion sur notre époque. J’ai une image pour cela. Les magazines où l’on voit des mannequins parfaits alors que tout le monde sait que l’image est entièrement retouchée sur ordinateur, et malgré cela tout le monde tente de ressembler à cette image impossible. Régime, produits, chirurgie, tatouages qui la plupart du temps sont justes décoratifs… Tout est mis en œuvre pour ressembler à un « idéal » inexistant. On préfère accepter un rêve que l’on sait faux plutôt que regarder la vérité en face : un corps, ce n’est pas parfait et ça vieillit. J’y vois à travers cette « maltraitance » une crise identitaire profonde. Dans ma bande dessinée, j’aborde cela plus sur le sujet « politique » dans le sens où l’on sait beaucoup de choses sur les méthodes des gouvernements et en particulier celui des États-Unis, mais on préfère ne pas les voir et accepter l’idée du rêve américain.

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Quand on regarde votre bibliographie, les États-Unis occupent une place particulière avec des albums comme « Shutter Island », « Marilyn, de l’autre côté du miroir », « Scarface  » ou « Dallas, une journée particulière ». Quelle relation entretenez-vous avec ce pays ?
Ch. De M. Comme beaucoup de gens, j’apprécie énormément ses bons côtés, sa musique, ses films, ses artistes… mais je ne peux m’empêcher de voir aussi ses pires aspects : les inégalités sociales, le racisme, le capitalisme extrême, ses mensonges… On peut me dire que c’est partout pareil, que ce n’est pas mieux en France, bien entendu, mais les États-Unis se voient comme les leaders du monde. Donc, mon envie de les observer et de les critiquer est plus grande.



L’histoire de votre personnage principal vous emmène sur un ring puis à un concert des Doors. Capter l’énergie du rock ou de la boxe est un exercice stimulant pour un dessinateur ?
Ch. De M. Ça fait partie des scènes que l’on a hâte de dessiner en espérant qu’on les réussira parce que justement, et contrairement à d’autres scènes où la mise en scène tourne plus sur le dialogue, là, si on se plante on le voit tout de suite.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Nobody » – Saison 1 épisode 1. « Soldat inconnu » par Christian De Metter. Soleil. 15,95 euros.

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