Zidrou: « Un récit de tripes, de boue et de folie »
Malgré son titre, « Les Folies Bergère » est tout sauf une histoire légère. C’est même plutôt un véritable coup de poing qui ébranle le lecteur, transporté au plus profond de l’horreur aux côtés de poilus de la Grande Guerre. Poignant.
Cet album débute par quelques pages de préfaces où vous interpellez le lecteur en insistant sur le fait que notre société sanctifie la guerre avec des musées, des monuments, des jours fériés et des poèmes. Il était important de rappeler ce paradoxe ?
Zidrou. Oui, bien sûr. Mais surtout, il était important de dire au lecteur que rien ne dit qu’il échappera à une guerre. En 1928, qui aurait cru qu’Hitler gagnerait les élections quelques années plus tard ? Après tout, les nazis n’avaient même pas atteint les 3% de votes ! Là, comme souvent au cours de l’Histoire, c’est une crise qui a préparé la voie royale à un conflit.
« Les Folies Bergère » plongent le lecteur au cœur d’une tranchée et lui font ressentir toute la folie qui a envahi les lieux…
C »est comme cela que je voyais cette histoire: un récit organique, fait de tripes, de boue… et de folie.
Vous insistez sur les rapports tendus entre soldats et gradés, sur les difficiles rapports de hiérarchie…
Z. Le nombre de désertions, de soldats fusillés par leurs frères d’armes fut une réalité relativement spécifique de ce conflit, plus particulièrement du côté français. Les mouvements d’objection de conscience sont nés au cours de ce conflit. Or, je suis objecteur de conscience.
La Première Guerre mondiale a déjà été traitée aussi bien dans la littérature, le cinéma que la BD. Est-ce que certaines œuvres vous ont influencé ou vous ont servi de base documentaire ?
Z. Tout ce qu’un scénariste a vu, lu, entendu… l’influence. Mais, dans ce cas particulier, à part un « Gallimard Découvertes » sur le sujet, je ne me suis pas particulièrement documenté. Il faut dire que je disposais en la personne de Francis Porcel d’un véritable spécialiste de la guerre des tranchées ! Ma seule obsession était de raconter une histoire que personne d’autre n’aurait racontée comme moi.
Un dialogue entre deux personnages (« se faire tuer pour un dessin, c’eût été con, non ? Pas quand le dessin est bon ») trouve un écho particulier dans l’actualité avec la polémique suscitée par les caricatures de Mahomet. Il est important de rappeler cette liberté d’expression ?
Z. Pour rappel, ce scénario a été écrit il y a 5 ou 6 ans ! Mais cette réflexion, cette prise de position même, n’en restera pas moins toujours d’actualité.
Le dessinateur Francis Porcel a réalisé un travail remarquable, très éloigné de sa série « Reality Show ». Comment s’est nouée votre collaboration ?
Z. Il voulait une histoire sur la guerre 14-18, une passion étonnante pour un jeune Andalou. Rappelons que l’Espagne n’a été en rien mêlée à la Première Guerre mondiale. Francis est venu chez moi, on a joué au football, fait « plouf » dans la piscine, on a sympathisé et il a dessiné trois tonnes de dessins pour mes fils. Puis je me suis mis au travail de mon côté, lui ai livré le scénario entier (comme toujours en ce qui me concerne). Il ne lui restait plus qu’à tout dessiner !
Les teintes sépia agrémentées de quelques taches de couleur renforcent la dramatisation des planches. Est-ce cette manière de coloriser l’album c’est rapidement imposé ?
Z. Ce ne fut pas une décision préalable. Cela s’est imposé à nous, éditeur et auteurs, au vu des premières planches de Francis. Le résultat a dépassé toutes nos espérances, car c’est cohérent. Je suis fier de cet album. Et un professionnel content de son travail est un professionnel qui sait qu’il progresse dans son art. Donc au boulot !
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)
« Les Folies Bergère » par Zidrou et Francis Porcel. Dargaud. 16,45 euros.