Yann: « Dans l’esprit de Simenon et de Gil Jourdan »
Privés des droits pour reprendre Gil Jourdan, Yann et Olivier Schwartz ont créé une agence de détectives pour explorer la France d’après-guerre. « Atom Agency » renoue avec l’ambiance délicieusement rétro des classiques de la BD franco-belge ou de l’âge d’or du cinéma français, tout en adoptant le rythme haletant des séries télévisées contemporaines.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de créer une agence de détectives ?
Yann. Olivier et moi avions envie depuis un moment de reprendre Gil Jourdan, qui est une série emblématique des années 50 et qui nous a vraiment marqués durant notre jeunesse. On n’a pas réussi, car les héritiers n’y tenaient pas. On a donc créé un trio de détectives dans la France des années 40 et 50 en modifiant certains aspects pour éviter justement de refaire du Gil Jourdan.
Quand on pense à détective, on voit d’abord des images de détectives américains…
Y. Cela en devient presque un cliché. On trouvait plus amusant de parler du côté franchouillard et de tout l’univers de l’âge d’or des films policiers de la série noire comme « Le cave se rebiffe » ou « La métamorphose des cloportes ». Nous avons aussi été inspirés par les polars de Simenon qui retranscrivaient si bien l’ambiance incroyable de la France des années 40.
Vous avez rencontré des détectives ?
Y. On a eu la chance de rencontrer les détectives de l’agence Duluc. C’est la plus ancienne agence française, puisque fondée en 1913. C’est Martine Baret, la fille de l’un des membres de la famille Duluc qui a repris l’agence, avec son époux. Ils nous ont gentiment raconté des anecdotes de l’époque, des trucs de détectives, comme la « tricoche » et la « filoche », que l’on va s’empresser d’intégrer dans notre intrigue.
Cette France de l’après-guerre tient un rôle important dans cette histoire…
Y. C’est surtout une période peu connue ! On connait beaucoup les années 50 et 60, mais personne ne s’intéresse aux années 40. C’est l’après-guerre. C’est une époque de transition, de reconstruction, mais aussi plus tragiquement, d’épuration, de règlements de comptes. C’est un peu le foutoir.
C’est aussi une aubaine pour les dialogues ?
Y. C’est la grande époque de l’argot parisien. C’est une langue qui passe surtout bien au cinéma. On a donc revu pas mal de films de l’époque. Ceux avec Arletty, Jean Gabin, Michel Simon, Bernard Blier, Louis Jouvet et d’autres. Tous les grands classiques de l’époque restent d’ailleurs toujours modernes. C’était l’âge d’or du cinéma français.
Pourquoi avoir choisi d’intégrer cette histoire dans la communauté arménienne ?
Y. On tournait un peu en rond avec des titis parisiens, alors qu’on voulait typer un peu les personnages. Dans les vieux films que l’on avait revus, on avait été marqués par les rôles de Charles Aznavour, particulièrement « Tirez sur le pianiste ». C’était un personnage très typé, qui sortait un peu du lot. On s’est dit que c’était une communauté pas très connue, un peu secrète et donc intéressante. D’autant qu’on avait une porte d’entrée historique puisqu’il y avait beaucoup d’Arméniens dans la police vu qu’ils étaient nombreux dans les réseaux de résistance. Un scénario se construit ainsi, au fil des découvertes en cherchant de la documentation.
C’est justement en vous documentant que vous avez trouvé le vol des bijoux de la Bégum ?
Y. On le connaissait et on pensait même qu’il était un peu trop connu. On s’est ensuite aperçu que personne ne savait vraiment ce qui s’était passé. Une bande de bras cassés un peu folkloriques du midi de la France qui arrête la Buick de l’Aga Khan et de son épouse la Bégum puis s’enfuit avec une facilité incroyable. Ils se retrouvent alors avec un butin de 200 millions de francs d’époque.
Les prochaines enquêtes vont continuer à s’appuyer sur des faits divers qui ont réellement existé ?
Y. C’est le principe de la série. Chaque album aura une intrigue centrée sur une enquête, qui peut être la recherche d’une personne disparue ou la résolution d’un petit problème en Province. On est plus proche de l’esprit de Simenon. On va utiliser de l’original et du représentatif de l’époque pour essayer de recréer un univers disparu.
Il est en effet question de la résistance, de l’épuration, mais aussi du catch…
Y. À l’époque, les murs de Paris étaient remplis d’affiches de cinéma, mais aussi beaucoup de galas de catch. C’était des espèces de superhéros français avec des capes, des maillots un peu ridicules, des cagoules, beaucoup de muscles et des noms pittoresques comme le Bourreau de Béthune, le Vampire de Charenton, l’Ange Blanc ou le Petit Prince. C’était vraiment très populaire et une vraie soupape joyeusement défoulatoire pour le public, qui savait que c’était un peu bidon.
Le dessin d’Olivier Schwartz colle parfaitement à l’époque…
Y. C’est un cador, comme on aurait dit à l’époque. Une grosse pointure. La Rolls-Royce du dessin humoristique. Il n’y a pas meilleur dessinateur pour reconstituer une époque. J’essaie de ne pas trop sortir de cette époque, car je trouve que c’est ce qu’il réussit le mieux.
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)
« Atom Agency – tome 1. Les bijoux de la Bégum » par Yann et Schwartz. Dupuis. 15,95 euros.