Gwenaëlle Abolivier : « Rendre hommage à ceux qui ont résisté »

En 1941, vingt-sept résistants ont été exécutés à Châteaubriant. Parmi eux se trouvait un gamin de 17 ans : Guy Môquet. « La fiancée » raconte cette tragédie du point de vue de son amoureuse Odette Nilès, enfermée dans le camp d’internement de Choisel. La journaliste et écrivaine Gwenaëlle Abolivier a d’ailleurs rencontré cette femme incroyable âgée aujourd’hui de 97 ans.

Pourquoi avoir choisi de raconter cette histoire depuis le point de vue d’Odette?
Gwenaëlle Abolivier.
C’était une chance de pouvoir s’appuyer sur un témoin vivant. Dès ma rencontre, il y trois ans, avec Odette, j’ai compris qu’elle avait été une jeune fille hors du commun, car d’une modernité étonnante pour son époque. Je me suis dit que raconter le parcours et mettre en scène une jeune fille courageuse, inventive, téméraire et belle de surcroît pouvait aussi résonner fortement avec notre époque. C’est aussi le rôle d’une scénariste de s’emparer d’un tel sujet et de montrer que des jeunes filles et des femmes font aussi bien et parfois mieux que les hommes !

Vous avez rencontré Odette Nilès, qui a aujourd’hui 98 ans. Est-ce que ses souvenirs ont fourni la base de votre récit?
Gwenaëlle Abolivier.
Tout à fait. J’ai réalisé deux longs entretiens radiophoniques qui ont constitué la base du récit. Je fus étonnée de constater à quel point sa mémoire était encore très vivace et précise.

Avez-vous effectué beaucoup d’autres recherches pour compléter ou recouper les informations?
G.A.
Bien sûr. Je suis allée à Châteaubriant, à la carrière là où se trouve un Musée de la résistance. Là, j’ai rencontré des historiens qui m’ont apporté des éléments. J’ai interviewé Paulette Capliez qui fut également une jeune fille en détention dans le camp et qui était amie d’Odette. J’ai lu le livre de Fernand Grenier « Ceux de Châteaubriant » qui constitue un témoignage unique et précieux sur la vie dans le camp. J’ai consulté les riches archives (photographiques, mais pas seulement ) que conserve le Musée à Châteaubriant. Un mémoire de Master 2 d’histoire a été écrit sur les camps d’internement en France et en particulier sur celui de Choisel.

Les témoignages sur ces camps « politiques » sont assez rares…
G.A. Cette dimension est très intéressante en effet d’autant que les historiens et les chercheurs découvrent toujours de nouvelles données et informations sur les relations et les enjeux très complexes qui se jouaient à ce moment-là. Il est passionnant de se questionner et de se nourrir de ces aspects pour alimenter un scénario comme celui-ci et d’essayer de tendre vers une certaine vérité.

On y découvre des jeunes filles très fortes et beaucoup plus courageuses que de nombreux hommes. C’est aussi quelque chose dont on ne parle pas beaucoup…
G.A. Il est vrai que dans cette histoire, les jeunes filles sont volontaires alors que certains hommes – comme le gardien du camp de Choisel ou encore l’ancien syndicaliste français qui collabore sans complexe avec l’occupant allemand – ne sont pas courageux. Mais comme toujours, il ne s’agit pas de généraliser, car encore une fois, je raconte cette histoire depuis un point de vue, celui d’Odette.

Les aquarelles d’Eddy Vaccaro collent parfaitement à votre récit…
G.A. Eddy Vaccaro est un dessinateur très sensible qui a un grand sens de la mise en scène. Avec Clotilde Vu, l’éditrice qui a créé la collection Noctambule, nous avons opté pour l’aquarelle qui ajoute un charme indéniable à ses planches. S’est ajouté à cela un travail sur la couleur (sépia) qui apporte aussi une belle dimension à l’ensemble. Plus je regarde ses dessins, plus je réalise qu’il était évident de choisir cette option. C’est franchement superbe !

La lecture de la lettre de Guy Môquet dans les dernières pages de l’album est particulièrement éprouvante. On imagine la douleur immense qui a dû submerger Odette Nilès et on est vraiment ému en lisant cette lettre. Cela a été un moment particulier à scénariser pour trouver le ton juste?
G.A. C’est certain. Tout l’album se situe sur une corde sensible avec la lettre de Guy à Odette qui représente une sorte de paroxysme. Je crois que finalement le ton juste se situe entre le scénario, le dessin d’Eddy (tout en retenue) et finalement le lecteur(-trice). Nous avons réussi à laisser l’espace suffisant pour que se déploie l’émotion du lecteur(-trice).

En quatrième de couverture est écrit « cette histoire est une manière de ne pas oublier ». Avez-vous l’impression que notre société a tendance à oublier de plus en plus ce qui s’est passé durant cette deuxième Guerre mondiale?
G.A. C’est difficile à évaluer. Nous vivons une certaine accélération, mais nous savons aussi la nécessité du devoir de mémoire. Ce roman graphique est une façon de souligner l‘importance de se souvenir et de rendre hommage à ceux qui ont résisté et ont payé le prix fort, c’est-à-dire celui de leur vie, pour que nous puissions continuer de vivre et d’évoluer dans un pays libre.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter

« La fiancée » par Gwenaëlle Abolivier et Eddy Vaccaro. Soleil. 19,99 euros.

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