Ruppert : « Une histoire d’aventure mais aussi d’amitié »
Construite à six mains, « La Grande Odalisque » n’est pas seulement une BD d’action dynamisée par de nombreuses idées originales. C’est aussi l’histoire de trois filles d’aujourd’hui qui puisent leur énergie dans leur amitié.
Comment et pourquoi trois garçons se retrouvent à écrire l’histoire de trois jeunes filles ?
Ruppert. Avec Jérôme (Mulot), on avait déjà travaillé avec des personnages féminins. Bastien (Vivès) avait lui aussi déjà raconté l’histoire de filles. Et on avait tous aimé le faire. C’est intéressant de pouvoir raconter des gens qui ne sont pas nous, mais dans lequel on va pouvoir mettre nos personnalités. En tout cas, dans une première étape. Ensuite, quand on les développe, on utilise alors d’autres influences et notamment nos amoureuses. Construire un personnage est une gymnastique un peu délicate. Partir de nous rend le travail plus facile.
Est-ce que chacune de vos héroïnes correspond à l’un d’entre-vous ?
R. C’est tout à fait cela. Quand on a commencé à travailler sur cet album, chaque fille était assimilée à un auteur. Au bout d’un moment, leurs personnalités ont évolué et elles sont devenues d’autres personnes.
Alex et Carole abordent la vie avec des visions presque opposées. Ce sont ces différences au sein d’un groupe pourtant très soudé qui sont le moteur de cette histoire ?
R. Tout à fait. Ce que l’on a voulu raconter, c’est que ce duo fonctionne grâce à cette histoire d’amitié. C’est Carole qui assure, qui possède l’énergie, la force. Alex est moins efficace, mais sans elle, Carole ne fait pas le travail. On veut montrer cette dynamique, que cela ne suffit pas d’assurer et d’être le meilleur, mais qu’il faut parfois avoir une sorte de folie ou d’enthousiasme. C’est ce qu’Alex apporte dans ce duo.
On connaît les BD réalisées à quatre mains par Dupuy & Berberian par exemple, mais comment cela se passe à six mains ?
R. Bastien (Vivès) a dessiné les trois filles. Avec Jérôme (Mulot), on a fait tous les décors et on s’est partagé les personnages secondaires. C’est un résumé même si ce n’est pas aussi clair que cela.
Quand on écrit ainsi à plusieurs, est-ce que le processus créatif est « dopé » par une sorte de compétition ?
R. Le fait d’écrire à trois canalise plutôt une sorte d’euphorie. On va se raconter des scènes, se marrer jusqu’à ce que l’un d’entre nous dise que cela devient n’importe quoi.
On trouve de vraies trouvailles graphiques ou scénaristiques dans cet album. Je pense à ces filles qui tuent les hommes avec les doigts ou à cette course-poursuite en moto dans les salles du Louvre…
R. Ces idées sont justement nées de nos discussions. On s’excite comme des gamins sur ce qui pourrait arriver dans le livre. On imagine la scène et quelqu’un trouve une astuce. Quand on fait une scène d’action, même si c’est super agréable à faire, au bout d’un moment, il y a une envie de jouer avec les clichés et les règles. On veut faire des choses qui nous fassent marrer. Cela doit être de l’action, mais à notre manière.
Vos héroïnes volent « Le déjeuner sur l’herbe » de Manet et « La Grande Odalisque » d’Ingres. Une raison particulière au choix de ces œuvres ?
R.
Bien sûr. Ingres est un peintre qui a dessiné des femmes toute sa vie. Dans le bain turc, il a mis presque toutes les femmes qu’il a aimées ou désirées. Comme c’est écrit dans l’album, Ingres est connu pour être le peintre qui sacrifie la vraisemblance pour la beauté. C’est un peu cela que nous voulions faire avec nos trois filles, qui sont une sorte de synthèse de notre vision des énergies de la femme d’aujourd’hui.
« La Grande Odalisque » est un one-shot qui aurait très bien ou sortir en deux tomes, sachant qu’il existe une vraie coupure après 52 pages et le départ pour le Mexique. Pourquoi ce choix d’un album complet ?
R. On avait prévu de faire un livre avec un peu moins de pages, mais on en a rajouté au fil de l’écriture. Ce livre a vraiment vécu une aventure dans sa création, car il y a eu plusieurs versions. On a beaucoup travaillé, supprimé quelques scènes et ajouté beaucoup d’autres pour obtenir un équilibre. Cela a été assez difficile. On avait beaucoup d’envie d’un point de vue de construction de l’histoire, de scénario et de rythme. Dans « La Grande Odalisque », il y a une histoire d’aventure avec trois filles qui volent des tableaux, mais aussi une histoire d’amitié. L’intrigue et l’enjeu du livre se font sur ces deux plans. Ce qui a été assez délicat à mettre en place notamment pour l’histoire d’amitié.
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)
« La Grande Odalisque » par Bastien Vivès, Jérôme Mulot et Florent Ruppert. Dupuis. 20,50 euros.