Philippe Richelle: « Des polars politiques à dimension historique »

Après « Les coulisses du pouvoir » et « Les mystères de la République », Philippe Richelle s’inspire de trois affaires d’Etat pour une nouvelle série concept. Avec « Affaires d’Etat », le scénariste propose trois histoires indépendantes qui explorent l’espionnage, le polar et le thriller.

Comme votre précédente série « Les mystères de la République », « Affaires d’Etat » se décline en trois histoires indépendantes qui se déroulent à des époques très différentes…
Philippe Richelle.
« Affaires d’Etat » se décline en trois cycles de quatre tomes, indépendants l’un de l’autre, réalisés par trois dessinateurs: Régis Penet pour « Guerre Froide » (années 60), Pierre Wachs pour « Extrême droite » (années 70) et Alfio Buscaglia pour « Jihad » (années 80). La mise en couleur est signée Claudia Boccato. J’avais pris beaucoup de plaisir dans l’aventure des « Mystères de la République » et l’éditeur était très satisfait.

Qu’est-ce que vous aimez dans ce concept?
Ph.R.
Un tel projet demande un long travail de préparation, tant au niveau de l’écriture que de l’éditorial. Le programme de parution doit par exemple être respecté à la lettre. Beaucoup d’intervenants sont impliqués. C’est donc un gros travail d’équipe et c’est ce qui me plait. A titre anecdotique, je conserve un souvenir marquant d’une tournée de dédicaces en 2014, avec tous les membres de l’équipe (qui est restée la même, à l’exception de François Ravard remplacé par Régis Penet).

Laquelle de ces trois affaires d’Etat a été à l’origine de cette nouvelle série?
Ph.R.
Aucune en particulier. J’avais envie de faire une série sur le sujet. J’avais le titre, un titre se prêtant au développement d’une série concept. J’ai couché sur papier toutes les affaires d’Etat que j’avais en mémoire. J’en ai ajouté d’autres. Le choix définitif a pris du temps, car il fallait une structure cohérente dans l’articulation du concept. J’ai finalement jeté mon dévolu sur trois affaires impliquant la France (sans que celle-ci soit nécessairement « fautive »), se déroulant dans des décennies différentes, qui conservent aujourd’hui encore leurs parts d’ombre et ne sont pas trop connues.

Comment traitez-vous ensuite ces affaires d’Etat?
Ph.R.
Dans chaque cycle, je pars du réel et j’élabore une intrigue « fictionnelle ». L’idée est de proposer des polars politiques à dimension historique, même s’il s’agit de l’histoire récente, qui aient une résonance avec l’actualité, et puissent être lus comme n’importe quel récit à caractère policier au sens large : espionnage, thriller. Il n’est pas nécessaire que le lecteur ait connaissance des faits évoqués. Le lecteur « informé », lui, identifiera les références qui y sont faites. Je dirais que mon travail s’inscrit dans la lignée de gens comme Francesco Rosi, Yves Boisset, Sydney Pollack ou de séries comme « House of Cards », « Homeland » ou « Le Bureau des Légendes ».

Dans l’histoire sur l’extrême droite, vous vous inspirez de l’assassinat de François Duprat. Ce dernier n’a pas été résolu. C’était important pour pouvoir construire votre fiction?
Ph.R.
C’est essentiel ! Si les exécutants et, surtout, les commanditaires, sont identifiés, l’affaire présente peu d’intérêt dans la perspective d’un récit de fiction. Dans le cas du meurtre de Duprat, de multiples hypothèses sont envisageables, ce qui ouvre grand la porte à l’imagination de l’auteur. Je m’attache à restituer le contexte social, politique, géopolitique, des périodes abordées. Dans les années 70, les partis et mouvements d’extrême droite étaient confidentiels, marginaux. Il est intéressant de relever qu’une quinzaine d’années plus tard, le FN de Jean-Marie Le Pen s’érigeait comme un acteur politique incontournable !

Vos scénarios nécessitent souvent un peu de concentration pour bien démêler tous les fils de vos histoires, notamment ici pour « Guerre froide » et « Jihad ». Est-ce une façon de respecter le lecteur?
Ph.R.
Tout à fait. J’ai toujours considéré que le lecteur est intelligent. Il y (déjà !) près de 25 ans, dans « Les Coulisses du Pouvoir » avec Jean-Yves Delitte, je proposais de récits à l’architecture plus complexe que ce qui se faisait à l’époque en bande dessinée, où les histoires étaient globalement assez linéaires. Depuis, la narration a évolué. Il suffit de voir une série géniale comme « Breaking Bad », où les allers-retours dans le temps foisonnent, tout comme les personnages, et où le rythme des scènes, tantôt très longues, tantôt très courtes voire parfois abruptes, marquent une rupture avec les codes narratifs préexistants.

Chaque histoire se déroulera sur quatre tomes. Il est toujours important pour vous d’avoir suffisamment de place pour pouvoir véritablement donner vie à vos personnages principaux et secondaires?
Ph.R.
Comme tous les lecteurs de ma génération, j’ai été bercé par des séries comme « Blake et Mortimer », « Valhardi », plus tard « XIII », et bien d’autres. Point commun: le côté stéréotypé des personnages et le manichéisme. C’était le reflet d’une époque. La BD était une forme de « littérature populaire ». « Blueberry », qui se rattachait à ce courant, a marqué un tournant à partir des albums sur l’histoire du trésor sudiste. C’était le « génie » de Charlier (comme de Gainsbourg en musique, par exemple): savoir capter l’air du temps, non par opportunisme mais par souci d’évoluer dans leur travail. Je n’ai pas une vision manichéenne du monde. Et j’attache énormément d’importance à la psychologie de mes personnages, qu’ils aient un rôle principal ou secondaire. Je m’efforce de retranscrire la richesse et complexité du monde…

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Affaires d’Etat », cycles « Extrême droite », « Guerre froide », « Jihad ». Glénat. 14,50 euros.

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