Olivier Bocquet: « Redonner sa place à Fantômas »

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Plus proche du personnage créé par Marcel Allain et Pierre Souvestre au début du XXe siècle que du bandit à cagoule bleue interprété par Jean Marais, le Fantômas d’Olivier Bocquet est un super-vilain violent et sans scrupules. Réjouissant !

Quelle était votre idée de départ : donner une nouvelle vie au Fantômas originel ou créer votre propre Fantômas ?
Olivier Bocquet. Les deux ! J’ai été très étonné, lorsque je me suis penché sur le sujet, de voir que Fantômas avait été complètement négligé en France depuis près d’un siècle – depuis les films de Feuillade, en fait. Comment l’un des personnages les plus marquants de la mythologie moderne française, qui est encore si présent dans l’imaginaire collectif, a-t-il pu être négligé à ce point ? On a exploité parfois jusqu’à l’écœurement des figures comme Arsène Lupin, Belphégor, Vidocq (ou pour remonter plus loin, les Trois Mousquetaires ou Jean Valjean), mais lui a été laissé de côté. Les rares tentatives « sérieuses » depuis Feuillade fleurent bon le col amidonné, la poussière et l’antimite (l’anti-mythe…). Il y avait donc tout un travail de réhabilitation à mener, non seulement pour rappeler la force du Fantômas originel, mais aussi pour le moderniser et en faire un personnage actuel. En ce sens, on peu dire que j’ai autant voulu ressusciter le personnage de 1911 qu’en faire ma chose, pour lui redonner la place qui devait lui revenir un siècle plus tard.

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Qu’avez-vous conservé des romans de Marcel Allain et Pierre Souvestre ?
O.B. J’ai conservé certains personnages emblématiques, incontournables. J’ai conservé le cœur de leurs relations, mais j’ai aussi pris beaucoup de libertés. Juve et Fandor ne se rencontrent pas comme dans la BD, par exemple. Le rapport entre Fantômas et Juve, ce jeu du chat et de la souris, est plus accentué dans notre adaptation. J’ai aussi, pour mon histoire, déblayé les nombreuses incohérences et contradictions qui existaient dans l’œuvre originale. J’ai pris des décisions, j’ai tranché entre plusieurs versions possibles, j’en ai inventé de nouvelles, aussi bien en ce qui concerne les origines des personnages que leurs liens. Il faut comprendre que les 32 romans de Fantômas ont été écrits au rythme de 400 pages par mois, on peut imaginer que c’était essentiellement de l’improvisation. Pour un lecteur sourcilleux, ça n’a ni queue ni tête.

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Est-ce les relations parfois ambigues entre les personnages qui rendent cette série si attachante à vos yeux ?
O.B. En plus du rapport entre les personnages, qui est effectivement le ciment de l’histoire, et qui va être amené à s’approfondir au fur et à mesure des tomes, ce qui m’éclate dans les romans, c’est le nombre d’idées géniales dont ils regorgent. Il y a une imagination folle en ce qui concerne les mises à mort, les gadgets improbables, l’utilisation des technologies de l’époque, même l’invention de technologies à venir (la première transfusion sanguine de l’histoire a lieu dans un épisode de Fantômas, par exemple…). C’est une mine. Je n’ai qu’à piocher, et à arranger tout ça dans mon propre scénario. Ce qui me pousse, moi aussi, à me dépasser pour être à la hauteur. Les séquences que j’imagine doivent être aussi incroyables, violentes, drôles, inattendues que celles que je pique dans les romans, ça met la barre très haut.

En lisant votre préface, mais aussi « Et maintenant, fini de rire » en quatrième de couverture, on devine que vous n’êtes pas particulièrement fan de la trilogie avec Louis de Funès et Jean Marais ?
O.B. À choisir, vous préférez un baril de Heath Ledger dans le rôle du Joker, ou cinq barils d’Adam West dans le rôle de Batman ? Imaginez que Batman en soit resté à la série télé des années soixante, on aurait perdu quelque chose, non ? Je n’ai rien contre Louis de Funès ou Jean Marais, je n’ai rien contre les DS volantes ou les masques bleus. Mais je trouve extrêmement dommage que ce soit ce Fantômas là qui prédomine dans l’imaginaire populaire, ou dans Google Images.

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On ne peut pas rire avec Fantômas ?
O.B. On peut rire avec Fantômas, mais pas que. Je prétends qu’on peut aussi être fasciné par le personnage. Qu’on peut en faire une figure majeure de la pop culture adulte du XXIe siècle. Qu’il a la puissance des mythes modernes, et que c’est du gâchis de le cantonner au rôle de bouffon. Et puis entre nous, je préfère De Funès dans la Grande Vadrouille ou la Folie des Grandeurs… et Jean Marais dans la Belle et la Bête.

Cet album s’en démarque dans le ton, mais aussi graphiquement avec un dessin anguleux, vif voire agressif. Il était important d’avoir cette vraie alchimie entre le fond et la forme ?
O.B. Je ne vais pas vous répondre le contraire ! J’ai brièvement travaillé avec un dessinateur très « ligne claire » pour ce projet. Il était très enthousiaste, très sincère dans son envie. Ses décors étaient extrêmement précis, fouillés, ses personnages et ses véhicules auraient pu être dans Tintin. Il y avait du talent, mais tout ça était vieux. Attendu. Un Fantômas à l’encaustique, rigide, prisonnier dans sa naphtaline. Le dessinateur ne parvenait pas – malgré mes instructions – à imaginer autre chose qu’un Fantômas en frac avec un haut de forme et un loup noir. J’ai fui. Avec mon éditrice Pauline Mermet, on a longtemps cherché le trait qui pouvait convenir à l’incarnation moderne de Fantômas. Comment faire un 1911 moderne ? Julie Rocheleau est arrivée comme un miracle, par la poste, ses dessins accompagnant un autre projet qui n’avait rien à voir.

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Julie Rocheleau vous a étonné ?
O.B. Julie Rocheleau ne cesse de m’épater. Elle a un talent incroyable, vraiment, et quand on lit les premiers retours critiques, c’est ce qui ressort tout le temps : la puissance de son dessin, de ses couleurs, de ses compositions. Je ne suis donc pas en train de la survendre : elle est vraiment douée. J’ai l’impression que je peux tout lui demander, elle n’a pas de limite. Ou quand elle en a, elle les camoufle si brillamment qu’elle les fait passer pour des points forts. Il y a une vraie émulation entre nous. Je lui propose des trucs, elle surenchérit, ça me donne une nouvelle idée, etc… Le fait de travailler avec Julie me fait même penser ma narration différemment : je fais tout pour qu’elle ait des défis à relever, pour lui donner la possibilité de s’exprimer. Je lui garde des planches ou des demi-planches pour faire de grands dessins, je change de décor, de situation, de personnages aussi souvent que possible. Pas question de gâcher son talent en lui demandant de dessiner des personnages assis autour d’un bureau à longueur d’album. Elle me déteste quand je lui pose des difficultés, mais pour rien au monde elle ne voudrait que je lui simplifie la tâche. Je crois qu’on se stimule mutuellement.

Qui est vraiment Fantômas : un révolutionnaire ou un bandit ?
O.B. Clairement : un bandit. Ce n’est pas forcément ce qu’il semble être dans le premier tome, on pourrait même le prendre pour une sorte de Robin des Bois ultra-violent, ou un anarchiste politique. Mais on découvrira par la suite qu’en réalité il ne roule que pour lui. Il est pour l’anarchie… à condition que ce soit lui le chef !

Quand on fait vivre un super-vilain, est-il indispensable de lui donner un minimum d’humanité ?
O.B. Je ne suis pas certain que « mon » Fantômas soit si humain que ça. Il a des sentiments humains, comme tout le monde, mais ce sont surtout des pulsions de violence, une noirceur d’âme et un total manque de pitié qui le caractérisent. Il prend du plaisir à faire le mal. Dans ces trois premiers tomes, il va temporairement révéler un point faible, un talon d’Achille, un peu de relâchement. Une parcelle d’humanité. Mais ça ne durera pas. Je pense qu’on peut considérer Fantômas comme un monstre. Une grande partie de mon travail consiste à faire en sorte que le lecteur ait tout de même plaisir à le retrouver, soit impatient de voir sa prochaine apparition, qu’il jubile devant ses méfaits. Qu’on aime ce méchant justement parce qu’il est méchant. Comme on peut aimer le Joker, pour reprendre cet exemple.

Sa faculté à changer de visage est une aubaine pour un scénariste ?
O.B. Oui. C’est un ressort puissant sur lequel je n’ai pas fini de tirer… Je crois que dès le deuxième tome, quand le lecteur aura compris le principe et jusqu’où ça peut aller, il aura une expérience de lecture assez unique. À chaque case, il pourra lire l’histoire au premier degré, mais une part de lui se demandera : « est-ce que ce personnage qui parle, qui agit dans cette planche est bien celui qu’il prétend être, ou est-ce encore Fantômas déguisé ? » Il y aura constamment une double lecture possible. Une insécurité, une instabilité qui m’intéressent beaucoup en tant que scénariste. Fantômas n’a pas besoin d’être physiquement présent pour être là. Il est toujours là, en creux.

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Espérez-vous que cet album offre un peu de lumière aux romans de Marcel Allain et Pierre Souvestre ?
O.B. Sincèrement, je n’y ai pas pensé. Peut-être que certains, après avoir lu la BD, retourneront la source, et tant mieux pour eux. Mais Fantômas est plus connu que ses auteurs, et le restera. C’est la marque des grands personnages de fiction : ils dévorent leurs créateurs. Ils deviennent… plus réels qu’eux.

Dans la biographie du communiqué de presse, il est écrit que l’on ne doit pas vous croire car vous vivez dans la fiction. En fait, vous êtes Fantômas ?
O.B. Je suis pire que ça : je suis celui qui le dirige. Et quelle chance d’être ce mec-là ! Je n’en reviens toujours pas !

Si c’était le cas, quel serait votre premier larcin ?
O.B. Fantômas ne donne pas dans le larcin : il a plus d’ambition que ça ! Mais si j’étais Fantômas soudain sorti de terre, je sais ce que je ferais : j’irai chercher ceux qui ont utilisé mon nom pour commettre des œuvres médiocres, et je leur ferais payer.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« La colère de Fantômas », tome 1. « Les bois de justice » par
Olivier Bocquet et Julie Rocheleau. 13,99 euros.

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