Stéphane Créty: « L’Algérie est au cœur du récit »
Dans ce thriller musclé mais aussi très politique, un agent de la DGSE est traqué dans la ville de Constantine. «Nom de code: Martin» s’intéresse aux relations ambiguës entretenue entre l’Algérie et la France. Les fans d’ »Homeland » vont adorer.
« Nom de code: Martin » n’est pas une série d’action classique, car très ancrée dans le réel. C’est quelque chose qui vous a tout de suite séduit ?
Stéphane Créty. Oui, c’était d’ailleurs notre première envie avec Fred: parler de notre monde, de notre temps, sans en faire un bréviaire pompeux ou didactique. Inclure dans le mainstream des thèmes qui nous semblent importants, essentiels. L’Algérie est un immense trou noir dans l’imaginaire français, une présence fantomatique. En toute modestie, l’aborder pas uniquement comme une toile de fond exotique, mais imbriquée dans le cœur du récit, était une forte motivation.
Cela induit plusieurs passages assez didactiques afin de résumer la situation politique. Comment abordez-vous ces cases assez bavardes ?
S. C. Graphiquement, je tâche de contextualiser, mais aussi de ne pas éviter les expressions des visages, surtout si ceux-ci sont discrets, dans le non-dit. Sinon, les protocoles sont identiques, champs contrechamps, zoom dézoom, redondance de vignette à vignette. Les huis-clos sont un moment où l’on ne peut pas se cacher derrière des bravaches de dessinateur. Là, le propos prime sur l’effet visuel.
Ce premier tome se passe presque exclusivement à Constantine. Comment vous êtes-vous documenté ?
S. C. Fred m’a procuré beaucoup de photos de son séjour sur place, qui a initié son envie de parler de ce lieu et de ces gens. Et aussi sur le Net mais sans Google ou Streetview, car l’Algérie est un angle mort de ce système. J’ai plutôt profité des photos ou vidéos de locaux, qui à raison, sont fiers de cette ville si extraordinaire.
Comment avez-vous créé le personnage de Martin ?
S. C. Martin s’est très vite affirmé: la quarantaine, athlétique de par son passé et sa profession, mutique, placide.
Ce premier tome m’a fait penser à la série télé « Homeland ». C’est une comparaison judicieuse ?
S. C. Je prends (sourire). Je n’y avais pas songé, mais nous pouvons en effet nous ranger dans cette famille des thrillers politiques. J’ai songé personnellement à Green Zone ou les livres de Tom Clancy. Je suis passionné de politique, de géopolitique, et suis aussi un gros lecteur de quotidien et d’hebdomadaire. À vrai dire, j’ai longtemps hésité entre m’investir en politique ou vivre de mon dessin.
Est-ce que vous puisez des idées dans les séries télé, notamment au niveau des cadrages ?
S. C. Pas directement, en prenant un plan d’untel, ou celui d’un autre. La bande dessinée, le cinéma et plus récemment les séries TV font partie de mon imaginaire, de ma matrice. Quand je lis le script, je visualise immédiatement. Ensuite, cela s’affine, mais l’image est là illico.
On sent un gros travail sur les cadrages en lisant cet album…
S. C. Je me souviens surtout d’une règle de base de Kubrick, c’est que l’emplacement de la caméra est la marque de l’auteur. Qu’un point de vue neutre, c’est la négation de l’auteur. Du coup, j’essaie systématiquement que mon point de vue soit une décision affirmée. Souvent dans les scènes d’action, j’essaie d’inclure le lecteur dans l’action, de l’imbriquer, en décalant, en construisant une perspective désaxée en déséquilibre. On a affaire à de l’image fixe. Rendre le mouvement, c’est une gageure. J’essaie par différentes méthodes plus ou moins conscientes d’y parvenir. De même pour les scènes apaisées, en neutralisant ces points de vue. C’est le récit et son climax qui décident.
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)
« Nom de code: Martin – Tome 1. Constantine » de Stéphane Créty et Fred Duval. Delcourt. 14,95 euros.