Nicolas Junker : « Un truc dingue avec de la baston »

Avec le percutant « Octofight », Nicolas Junker imagine un avenir très sombre pour notre société et particulièrement les personnes âgées. Un exercice de politique fiction assez dérangeant et totalement déjanté.

Selon les Nations Unis, le nombre de personnes âgées de 80 ans ou plus devrait tripler en 2050. C’est le thème d’ « Octofight ». Comment vous est venue l’idée d’écrire sur le vieillissement de la population ?
Nicolas Junker. C’est venu d’un roman suédois – « La mort moderne » de Carl-Henning Wijkmark – que j’ai lu il y a une quinzaine d’années. Dans ce livre, il imagine un colloque entre des économistes et des scientifiques qui expliquent pourquoi il faut euthanasier de force les octogénaires afin que le pays puisse survivre économiquement. Le roman a fait scandale. J’ai été un peu fasciné par l’argumentaire et toute la problématique que cela posait. Il y avait déjà le problème des baby-boomers, des retraites…

Est-ce que votre histoire est une façon de tirer la sonnette d’alarme ?
N.J.
Ce n’est pas un livre à message politique. Ensuite, ce n’est pas tant sur les vieux que sur la manière dont on peut mettre sur le côté une catégorie de la population. Aujourd’hui, ce sont plutôt les musulmans ou les gens de couleur qui sont à la mode, mais cela pourrait être les octogénaires dans trente ans.

Vous avez choisi de raconter cela avec une histoire plutôt déjantée, vive et énergique…
N.J.
Je tournais un peu en rond avec cette histoire de traitement des personnes âgées. J’étais parti sur une sorte de faux docu-fiction mais ce n’était pas très exaltant (sourire). C’est en discutant avec mon éditeur Frédéric Mangé que l’on a eu le déclic de partir sur un truc un peu plus dingue avec de la baston d’octogénaires.

Raconter cette histoire sous une forme proche du manga était une évidence?
N.J.
C’est arrivé assez rapidement. Cela permet de donner du rythme, avec de petites pages. J’avais aussi pas mal de choses à raconter et besoin d’une grande pagination. Je n’avais pas envie d’un gros roman graphique un peu sérieux ou d’une série avec plein de tomes. Mon histoire était découpée en trois parties donc j’avais dès le départ l’idée d’une trilogie. Chico Pacheco n’aurait pas craché sur un format plus grand, dans l’esprit du comic, mais on n’en est pas très loin.

« Octofight » se déroule sur deux temporalités avec l’histoire de ce couple qui fuit l’euthanasie obligatoire et, quelques dizaines d’années plus tôt, le débat politique qui a conduit à cette situation ahurissante. Ce n’est pas un peu effrayant de faire de la politique fiction ?
N.J.
D’un côté, c’est un peu effrayant, parce que cela pourrait se passer pour de vrai ! Toutes les séquences de l’album sont d’ailleurs tirées de vrais débats mais sur d’autres sujets. D’un autre côté, c’est tout de même moins effrayant que la politique actuelle. On se dit que l’on peut encore empêcher d’en arriver là. C’est même plutôt rassurant de pointer ce qui peut mal se produire si on ne fait pas attention.

En 2050, tout le monde est devenu gaulliste. Le Général s’affiche même sur des publicités pour de l’électroménager. Pourquoi ce revival ?
N.J. Ce n’est pas quelque chose de nouveau. Quand j’ai écrit cette histoire il y a trois ans, tout le monde était déjà gaulliste. Marine Le Pen essayait déjà de récupérer l’image de De Gaulle. Seule l’extrême gauche s’en démarque par tradition. C’est une lapalissade de dire cela, mais quand il y a des crises, on a se raccroche à de grandes figures morales, rassurantes. De Gaulle est parfait pour cela. Le gaulliste, c’est formidable, épatant. C’est l’homme providentiel qui a sauvé le France… surtout quand on peut lui faire dire tout et son contraire.

Dans la bande annonce de la série, on découvre que le fils de Marion Maréchal sera notre Président en 2050. Les deux prochains tomes seront encore plus politisés ?
N.J.
Chaque tome sera un peu différent. Le deuxième sera plus axé sur la baston et le troisième sera en effet très politique. On découvrira ce que vont devoir imaginer les seniors pour se tirer de cette de cette situation, stratégiquement parlant.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Octofight – Tome 1. Ô vieillesse ennemie » par Nicolas Juncker et Chico Pacheco. Glénat. 12,90 euros.

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