Manu Cassier: «Un challenge rudement excitant»

La passionnante « Affaire Markovic » implique à la fois le général de Gaulle, le couple Pompidou et Alain Delon. Sur un scénario clair, dynamique et bien documenté de Jean-Yves Le Naour, le dessinateur Manu Cassier nous replonge à la fin des années 60 au cœur d’un règlement de comptes entre Gaullistes. Une affaire toujours non résolue aujourd’hui.

Est-ce que vous aviez déjà entendu parler de l’affaire Markovic?
Manu Cassier.
Je n’étais pas né à l’époque des faits. J’en ai entendu parler grâce à l’émission « Affaires sensibles » sur France Inter. C’est une émission que j’écoute régulièrement en travaillant sur mes planches et dont je suis très adepte.

Qu’est-ce qui vous a immédiatement attiré dans cette histoire?
M.C.
Dans mon souvenir, c’est le découpage de Jean-Yves. Il m’avait été envoyé par Hervé Richez (directeur de collection pour Grand Angle) et m’avait littéralement embarqué. Ce qui n’est pas toujours évident car la lecture d’un scénario n’est pas toujours aisée et, parfois, on a du mal à visualiser les scènes et à rentrer dans l’histoire. Pour « L’affaire Markovic », ce ne fut absolument pas le cas. Non seulement je visualisais très bien les scènes mais j’y décelais également une « patte polar » qui ne pouvait que me plaire.


Est-ce que devoir dessiner de nombreuses personnalités comme De Gaulle, Pompidou, Delon et d’autres était un challenge excitant ? Comment l’avez-vous abordé?
M.C.
Avec une certaine appréhension… doublée d’une petite pression, car il fallait convaincre à la fois Jean-Yves, Hervé… et même moi que j’en étais capable, car je ne me considère pas vraiment comme une bête en dessin. Et puis, j’ai commencé à croquer ces personnalités. D’abord d’après photos ou documents filmés, de façon réaliste (plutôt éloigné de mon style), afin d’essayer de capter les petits trucs, dans les visages ou les attitudes, qui allaient pouvoir me permettre d’en faire des personnages de BD. Il reste des approximations que certaines lectrices et lecteurs ne manqueront pas de remarquer, mais je mise sur leur indulgence. D’ailleurs, pour l’anecdote, c’est Alain Delon qui m’a donné le plus de fil à retordre. Dans ces années-là, il était presque trop beau et avait peu d’aspérités auxquelles se rattacher, au contraire de Mme Pompidou que les photos de l’époque ne mettaient pas spécialement en valeur et dont j’ai tenté d’adoucir les traits. En bref, on peut dire que oui, c’était un sacré challenge… rudement excitant.


Le scénariste Jean-Yves Le Naour a confié que certaines scènes sont des découpages de scènes de reportages télévisés. Vous avez travaillé avec beaucoup de documentation?
M.C.
Bien plus que pour mes premiers albums, en tout cas. Il fallait « ancrer » le récit dans son contexte de la fin des années 60, et je ne pouvais donc pas y couper. Des modèles de vêtements à ceux de voitures, en passant par les téléphones, avions, TV, radios, journaux… sans oublier les lieux mythiques que sont l’Elysée ou la Maison de la radio. En bref, j’ai dû me documenter à peu près pour tout.


Est-ce que le cinéma a également été une source d’influence notamment pour les scènes avec Alain Delon?
M.C.
Pour les scènes avec Delon, mais pas seulement car l’ensemble de l’album a été réalisé avec, à l’esprit, les images des polars de cette époque. L’idée était d’essayer de donner aux planches cette ambiance, à la fois poisseuse et un peu « passé », des films de ces années-là.

Une histoire aussi complexe nécessite forcément des scènes avec beaucoup de dialogues. Comment avez-vous tout de même réussi à donner du rythme et du dynamisme à vos planches?
M.C.
Il faut bien reconnaître qu’avec « L’affaire Markovic », j’ai eu plus de cases et de bulles textes à gérer que d’habitude. Cela a mis « un peu plus de sel » à l’élaboration du storyboard, mais, comme c’est l’étape que je préfère, j’ai pris ça comme un défi plutôt sympa à relever. D’autant que j’ai toujours aimé varier les plans, pour donner l’impression de mouvement à des scènes qui en étaient dépourvues, et jouer sur les formes de cases, pour avoir le bon tempo narratif. Des choses, que j’ai sans doute hérité de mes anciens cours de BD à la fac de Saint-Denis ou d’une lecture assidue de « L’Art invisible » de Scott McCloud. En tout cas, ça m’a aidé à coller au rythme insufflé par les dialogues ciselés de Jean-Louis.


Ce personnage fictionnel de journaliste, qui enquête sur l’affaire, était une aubaine pour aérer le récit avec des scènes de vie?
M.C.
Pour la petite histoire, j’ai longtemps cru que ce personnage avait réellement existé. J’ai même tapé « Pierre Lefebvre, journaliste, Le Figaro, 1960 » sur internet pour voir à quoi il ressemblait.
C’est en captant que ce cher Pierre était fictif que j’ai compris que les scènes où il apparaissait allaient me permettre d’être plus libre dans le dessin et, excepté pour les locaux du Figaro (dont je n’ai d’ailleurs pas trouvé de docs sur ces années-là), les lieux qu’il fréquente sont plus anonymes. Plutôt bienvenu donc, surtout au regard des autres scènes de l’album, dont la quasi-intégralité sont basées sur des témoignages avérés ou des extraits de journaux télévisés et qui se déroulent dans des endroits bien définis et souvent très connus.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« L’affaire Markovic – tome 1 » par Manu Cassier et Jean-Yves Le Naour. Grand Angle. 18,90 euros.

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