Malo Kerfriden: «On ne voit plus beaucoup de politiques de la trempe de Badinter»
À l’occasion de la panthéonisation de Robert Badinter, «L’Abolition» ressort en librairie. Malo Kerfriden revient sur cette œuvre marquante consacrée au combat du ministre pour l’abolition de la peine de mort. Entre sobriété graphique, intensité humaine et résonance politique, le dessinateur évoque la force toujours actuelle de cette figure d’idéal et de conviction. Un album indispensable.

À l’occasion de la panthéonisation de Robert Badinter, les éditions Glénat ont réédité votre album «L’Abolition», paru en 2019 et déjà réédité en 2021. Que ressentez-vous en voyant cet ouvrage connaître une telle longévité éditoriale?
Malo Kerfriden. Je ne suis pas vraiment surpris. Ce genre de figures de la Ve République a tout de même une certaine résonance et il était logique que l’album reste. Deux autres romans graphiques sur Robert Badinter sont parus par la suite, mais à l’époque, c’était le seul ouvrage sur le personnage. Le tirage a été très modeste mais au bout de trois semaines, il était en rupture de stock.
Pour cette nouvelle édition, vous avez réalisé une couverture inédite, avec un Robert Badinter en gros plan, en pleine plaidoirie. Ce choix est-il directement lié à l’actualité?
M.K. Comme pour l’édition précédente, la couverture est un choix de l’éditeur. C’est effectivement un choix opportuniste afin de coller au plus près de l’actualité. Je trouve assez plaisant d’avoir deux versions avec des propositions extrêmement différentes.

Comment avez-vous abordé le dessin d’un récit aussi fort sur le plan historique et symbolique Quel parti-pris graphique avez-vous adopté?
M.K. Je viens de la bande dessinée « classique » et m’adapter au « roman graphique » en même temps qu’au dessin sur ordinateur a été un challenge. Les parti-pris graphiques sont dus a plusieurs facteurs : ce que je voyais publié à l’époque, l’influence de mes camarades (notamment Franck Biancarelli qui avait publié un roman graphique avec Denis Robert) et les contraintes budgétaires qui m’avaient obligé à une certaine sobriété dans les moyens.
Dans «L’Abolition – Le combat de Robert Badinter», l’humain est véritablement au centre, avec des décors réduits au minimum…
M.K. Oui, j’ai beaucoup centré sur les personnages et beaucoup travaillé les expressions avec des décors marqués par des masses de blanc ou de noir. Marie sait faire vivre ses personnages et c’était ce qui transparaissait du scénario.

Vous avez dû représenter des figures emblématiques comme Robert Badinter, François Mitterrand, Philippe Séguin ou encore le journaliste Roger Gicquel. Comment avez-vous trouvé le juste équilibre entre ressemblance et interprétation graphique?
M.K. C’est toujours un exercice acrobatique difficile, surtout que l’aspect de Robert Badinter à l’époque du procès Bontemps, par exemple, n’est pas du tout celui du ministre qui est dans toutes les mémoires aujourd’hui. Comme à chaque fois où j’ai du représenter des personnages historiques, j’ai choisi l’entre-deux : le physique de l’époque mélangé à celui de l’imaginaire collectif.
La bichromie permet notamment de distinguer les flashbacks de la Seconde Guerre mondiale. Avait-elle aussi une fonction symbolique ou narrative au-delà de cet aspect visuel?
M.K. Le bichromie est essentiellement liée à mon manque de confiance dans mon noir et blanc. J’ai pris un peu plus confiance dans l’album suivant « L’enfer est vide car tous les démons sont ici » que nous avons réalisé ensuite avec Marie. Mais, une fois ce choix de bichromie fait, l’idée du changement de couleur pour les flashbacks est venue naturellement.

Avec la montée des extrémismes un peu partout dans le monde, estimez-vous que ce livre résonne aujourd’hui avec encore plus de force?
M.K. Il est certain qu’en terme de figure politique, on ne voit plus beaucoup de personnages de la trempe de Robert Badinter avec ce type d’idéalisme et de conviction.
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)
«L’Abolition – Le combat de Robert Badinter» (nouvelle édition) par Malo Kerfriden et Marie Bardiaux-Vaïente. Glénat. 23 euros.
