JD Morvan: «La force du témoignage»

Grâce au journaliste Victor Matet, coscénariste de ce poignant « Adieu Birkenau », JD Morvan eu l’opportunité de rencontrer Ginette Kolinka et de l’accompagner à Birkenau. Le livre raconte l’effroyable histoire de cette rescapée des camps de la mort mais témoigne également de l’énergie et de la joie de vivre incroyable de cette super mamie de 98 ans.

Vous avez rencontré Ginette Kolinka grâce au journaliste de France Info Victor Matet…
JD Morvan.
J’ai travaillé avec Léonor Matet sur l’album « Magnum Génération(s) ». Elle m’a parlé de son frère, qui connaissait Ginette Kolinka, et de la possibilité de la rencontrer pour écrire un roman graphique. J’ai un peu hésité car je travaillais déjà sur le témoignage de Madeleine Riffaud et je ne voulais pas qu’on pense que je profitais d’un bon créneau. Puis je me suis dit que ça n’avait pas d’importance par rapport à la force du témoignage, à la possibilité de rencontrer Ginette et d’aller avec elle à Birkenau. Il m’a semblé important de le faire et de finalement le continuer mon travail sur la Seconde Guerre Mondiale.

Agée de 98 ans, Ginette Kolinka dégage une énergie et une joie de vivre incroyable…
JD.M. Cela a été une belle leçon de vie. Pour faire ce livre, on n’a utilisé que le matériel appris avec Ginette. On est d’abord allé la voir au Mémorial de la Shoah de Drancy où elle faisait une conférence. On l’a enregistré. On s’est aussi rendu chez elle. Ensuite, on est parti à Cracovie où l’on a passé une journée à discuter. Le lendemain, nous sommes allés à Birkenau. On l’a enfin revu de nombreuses fois à Paris pour discuter. Ces échanges nous permettaient largement de nourrir une bande dessinée. Il y a même des choses que l’on n’a pas pu inclure. C’est dommage, mais on essaiera de le faire dans une éventuelle édition augmentée ou d’en parler lors d’une interview.

Vous racontez son histoire en liant passé et présent. Qu’est-ce que cela vous apporte?
JD.M. Quand j’ai rencontré Ginette, cela m’a semblé important de montrer qui elle était, sa personnalité et sa vision des choses. Il fallait aussi raconter les anecdotes où elle nous a fait rire durant le voyage à Birkenau. Ça fait partie de son caractère. Ce passage du rire aux larmes est hyper important. J’ai finalement trouvé cette manière de la raconter d’aujourd’hui jusqu’à hier. C’était pas mal de faire croiser les époques. L’album débute dans le présent avec des flashbacks dans le passé. Au bout d’un moment, quand on est à Birkenau, tout se mélange. C’était un gros boulot, pour que cela reste fluide. L’idée était de réussir une construction assez complexe mais qui se lit très facilement.

Vous avez accompagné Ginette Kolinka à Birkenau pour un voyage que l’on imagine très éprouvant. Comment l’avez-vous vécu?
JD.M. J’y étais déjà allé une fois pour travailler sur le tome de 2 de « Simone » chez Glénat. J’avais voulu y aller tout seul pour ne pas avoir à parler, pour être tranquille et ne pas avoir à donner d’explications. J’y suis donc retourné avec Ginette. C’était quelque chose de plus puissant. D’autant qu’elle nous a dit que c’était son dernier voyage. Elle s’en est rendu compte dans le camp à la fin de la visite. Évidemment, ça nous a fait un lien parfait pour la bande dessinée. On racontait son premier et son dernier voyage.

Quand on feuillette les planches, on n’imagine pas forcément une histoire aussi triste. Pourquoi ce choix graphique?
JD.M. Un dessin plus triste n’aurait peut-être rien apporté. Il fallait raconter Ginette, qui est haute en couleurs. Efa a fait tout le story board, Cesc les dessins et Roger la couleur. On a trouvé le bon ton pour ne pas repousser les gens à la lecture. L’idée est qu’un maximum de gens lisent cette bande dessinée et puissent accéder au témoignage de Ginette.

Malgré ce sujet effroyable, vous n’en rajoutez pas dans le pathos et parsemez votre récit des espiègleries de Ginette Kolinka. Ces respirations étaient importantes?
JD.M. Je n’ai jamais vraiment su ce qu’était le pathos. Je raconte comme je sais le faire en essayant de m’améliorer à chaque fois. Il n’y a de toute façon jamais besoin de rajouter des choses à une histoire aussi horrible que cela. C’est pareil pour le dessin.

Les enfants sont très réceptifs aux souvenirs de cette rescapée de Birkenau. Est-ce que vous craignez que les prochaines générations y soient moins sensibles sans ce type de témoignage direct?
JD.M. Je ne sais pas si les prochaines générations seront moins sensibles mais il est sûr que ces dames comme Madeleine (99 ans) ou Ginette (98 ans) ne vont hélas pas encore vivre 50 ans. Il faut trouver d’autres manières de témoigner : la bande dessinée, l’exposition sur Ginette au Mémorial de la Shoah, celles sur Madeleine, des écrivains comme Marion Ruggieri (Retour à Birkenau), Tal Bruttmann, Caroline François,… Écrire ces livres est très important car ils peuvent avoir de l’importance auprès des gens.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

«Adieu Birkenau» par Ginette Kolinka, Jean-David Morvan, Victor Matet, Ricard Efa, Cesc, Roger Sole. Albin Michel. 21,90 euros.




Share