Ingrid Chabbert: « J’ai été chamboulée par Furiosa »

Après avoir vu « Max Max Fury Road », Ingrid Chabbert a eu envie d’inventer un personnage féminin aussi badass que Furiosa. Plongée dans un monde post apocalyptique particulièrement violent, « Larkia » se démarque toutefois de la saga cinématographique grâce à un scénario original et explosif.

En introduction à l’album, vous avouez que votre culture BD est limitée. Est-ce un atout de ne pas être trop influencée?
Ingrid Chabbert.
Cela dépend des circonstances. Je m’étais forgée une sorte de complexe vis-à-vis de de cela. J’essaie de rattraper ce retard car j’ai parfois l’impression de ressentir certaines lacunes. Du coup, j’ai peut-être aussi un regard un peu neuf ou naïf avec des références différentes. Pour « Larkia », comme je n’étais pas une grande lectrice de bandes dessinées de genre, j’avais plutôt des références cinématographiques.

Le dessin de l’Argentin Patricio Angel Delpeche est plus proche du comics que de la bande dessinée franco-belge. C’était votre souhait dès le départ?
I.C.
On a mis du temps avec mon éditeur à trouver le bon dessinateur ou la bonne dessinatrice. J’avais monté le projet à la base avec un dessinateur mais ça ne plaisait pas à l’éditeur. On a alors cherché chacun de notre côté. Si ma mémoire est bonne, j’ai découvert des dessins de Patricio sur son Instagram ou sur son Facebook. Il y avait des scènes de combat et de courses poursuites. J’ai immédiatement aimé son découpage assez cinématographique et la force qui se dégage de son dessin. Je me disais que cela pourrait complètement coller à « Larkia ». Je ne regrette pas car Patricio a un talent de dingue. Il a fait un boulot fantastique.

Reconnue comme auteur jeunesse, vous sortez clairement de votre zone de confort avec ce thriller post apocalyptique particulièrement violent…
I.C.
J’avais envie d’expérimenter autre chose, sans savoir exactement quoi. « Ecumes », ma première bande dessinée à destination d’adultes, était un roman graphique très intime. J’avais envie de quelque chose de radicalement différent. « Larkia » correspond à ce que je peux aimer comme genre de films. J’ai eu envie de le tenter en BD. C’était nouveau et très excitant, car je me demandais si j’allais être à la hauteur. J’ai alors eu la chance d’avoir un éditeur qui a vraiment fait un vrai travail d’accompagnement éditorial.

Ce travail éditorial se traduit comment concrètement?
I.C.
Après avoir reçu les trente premières pages, il m’a appelé pour me dire que l’on ne pouvait pas débuter l’album par dix pages sur l’accouchement. Je n’avais pas eu l’impression d’en écrire autant… Il a vraiment su partager son expérience d’éditeur et de lecteur de bande dessinée de genre. Cela m’a aidé et conforté dans mon choix. Je me suis vraiment éclaté à écrire « Larkia ». J’espère que j’aurais l’occasion d’écrire d’autres histoires de ce type-là.

Vous évoquez « Max Max » dans les bonus de l’album, mais on pense aussi un peu aux « Fils de l’homme » d’Alfonso Cuaròn…
I.C.
Je n’y avais pas pensé, mais je comprends la référence. Je me souviens l’avoir vu peu de temps après sa sortie en 2006 et vous m’avez donné envie de le revoir (sourire). Ce n’était donc ni volontaire ni conscient. Peu de temps avant d’écrire « Larkia », j’ai en effet vu le dernier « Mad Max » avec le personnage de Furiosa. Cela m’avait donné envie de revoir toute les trois premiers films. J’étais donc vraiment imprégné par la saga, mais je n’ai pas voulu pour autant faire un pseudo « Mad Max ».

Il y a forcément du Furiosa dans Larkia…
I.C.
Le personnage de Furiosa m’a particulièrement chamboulée. Je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas tant que cela de personnages féminins forts. C’est ce qui m’a donné envie de partir sur ce personnage de Larkia. Souvent, le personnage féminin est la victime ou s’appuie sur un ou plusieurs acolytes masculins qui vont le protéger. J’avais envie d’un personnage qui a dû apprendre à se débrouiller seule. Elle est combative, solitaire, bagarreuse parce qu’elle n’a pas le choix. Larkia est abimée. Elle a été esquintée par la vie au sens propre comme au sens figuré.

Le lecteur reste longtemps dans le flou avant de comprendre les enjeux de votre histoire…
I.C.
C’est quelque chose que j’aime en tant que lectrice ou spectatrice. J’appelle cela une construction déconstruite. Cela veut dire maintenir ce flou et avoir des flashbacks sur des périodes différentes à chaque fois. C’est un peu comme si le lecteur avançait à la fois à tâtons et en même temps à une vitesse folle, comme « Larkia » qui n’a pas le temps de se poser une minute pour réfléchir. C’était une façon de garder toujours le lecteur en haleine. J’espère que ça fonctionne…

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Larkia » par Ingrid Chabbert et Patricio Angel Delpeche. Glénat. 19,95 euros.

Share