Christophe Arleston : « Un grand opéra baroque »

Avec « La baroque épopée du monde qui ne voulait plus tourner », Christophe Arleston prend encore des libertés avec les codes de la fantasy et construit son histoire comme un opéra. L’auteur de « Lanfeust de Troy » en profite également pour parler de la condition féminine et du genre.

Cette histoire a débuté dans votre esprit par l’image d’un monde qui s’arrête de tourner avec une face au soleil et une autre dans l’obscurité. Cela aurait pu être le point de départ d’un récit de science-fiction. Pourquoi la fantasy ?
Christophe Arleston.
Cette histoire de monde qui s’arrête de tourner assez rapidement aurait été très compliquée à justifier en science-fiction et cela aurait alors été vraiment le cœur du sujet. Dans science-fiction, il y a science et on est toujours obligé d’en tenir compte. Là, ce qui m’intéresse, c’est plutôt l’aspect parabolique des choses.

Qu’est-ce que vous aimez dans la fantasy ?
Ch.A.
C’est un genre qui permet justement des paraboles. C’est un moyen de parler de notre monde actuel et d’écrire des contes, qui comme tous les contes depuis le début de l’histoire du récit oral vont nous ramener à de grandes problématiques que l’on se pose nous-mêmes. La fantasy permet tout. Il n’y a pas les limites que l’on peut trouver dans la science-fiction.

Est-ce difficile de se renouveler quand on créé un nouvel univers, de ne pas tomber dans des recettes que l’on maitrise déjà à la perfection ?
Ch.A.
C’est toujours quelque chose de difficile. C’est pour cela que le dialogue avec ma co-autrice ou mon co-auteur est important. Cela m’oblige à me renouveler et à aller chercher autre chose. Moi-même, j’essaie sans cesse de me mettre en danger. Évidemment, j’ai des bases narratives sur lesquelles je me repose, mais en même temps j’essaie de sortir de ce confort. Par exemple, je vais écrire une première version assez classique du synopsis puis je vais repasser dessus en essayant de l’amener plus loin, de dynamiter les situations un petit peu convenues et de trouver le truc en plus qui va permettre d’être dans quelque chose de nouveau. Là, en l’occurrence, c’était la volonté de faire quelque chose de baroque, d’assez surprenant. Cela m’a permis de partir dans des directions complètement différentes.

Vous avez déclaré que cette série vous avez permis d’explorer de nouvelles techniques narratives…
Ch.A.
Je travaille toujours en écoutant beaucoup de musique. Pour « La baroque épopée du monde qui ne voulait plus tourner », j’étais à fond dans les opéras de Purcell. C’est la grande musique baroque que j’adore. Dans cette logique, je me suis dit que je devais écrire mon histoire comme un opéra avec des actes, des commentaires, des didascalies et tout le côté théâtral.
C’est un grand opéra qui se joue devant nous. On a des grands moments épiques et d’autres, ces planches sans décor, où le personnage est en pied. On l’imagine alors qu’il se retourne vers le spectateur et va lui parler directement. Cela a été aussi une manière de rythmer l’histoire avec un premier degré classique, un second degré avec ces personnages qui s’adressent au public et un troisième degré avec les commentaires des oiseaux. Cela donne quelque chose de finalement assez cohérent et qui trouve surtout un rythme de respiration. C’est très important dans la narration.

L’art baroque s’affranchit des règles. C’est cette liberté qui vous intéressait ?
Ch.A.
J’ai toujours recherché cette liberté dans mes albums et j’ai toujours un peu dynamité les codes. À force de le faire, j’ai finalement créé de nouveaux codes que beaucoup d’autres ont ensuite imités. Maintenant, c’est à moi de toujours courir devant et d’essayer de trouver de nouvelles choses. D’autres auteurs le font évidemment également. Mais, c’est vrai que j’aime m’affranchir des règles. Même dans le nouveau « Lanfeust » qui va sortir, je ne respecte pas les règles que j’avais fixées pour cette série jusque-là. Ce qui est amusant, c’est d’aller toujours chercher quelque chose de nouveau.

« La baroque épopée du monde qui ne voulait plus tourner » peut aussi se lire comme une critique de la condition féminine dans certaines sociétés ou à certaines époques. Est-ce important d’avoir un thème avec une résonance dans notre monde actuel ?
Ch.A.
J’ai toujours attaché beaucoup d’importance à mes personnages féminins. C’est quand même un sujet qui devient de plus en plus important. Là, on est en effet sur la question de la condition féminine, mais aussi sur celle du transgenre. Est-ce qu’il est important d’être genré ou pas. Dans cette histoire, on est dans une société où le personnage principal est une fille que l’on a obligé à se faire passer pour un garçon, et qui est finalement représentatif des deux genres. Ce sont des questions de société que l’on aurait pu aborder il y a vingt ou trente ans, mais cela n’aurait pas été de la même manière. J’ai toujours eu une fibre sociale et universaliste que j’essaie de faire passer dans mes histoires.

Est-ce que cela peut aussi être un moyen d’attirer un lectorat plus féminin ?
Ch.A.
Ce n’est pas mon problème. J’écris d’abord pour moi et encore plus pour la dessinatrice ou le dessinateur avec qui je travaille. J’essaie déjà d’intéresser, de passionner, d’émouvoir et de faire rire la personne qui va mettre en images mon scénario. Je suis un peu un tailleur qui fait des costumes sur mesure pour tel ou tel auteur. On a pas mal discuté avec Dana Dimat et j’ai vraiment écrit le scénario pour elle. Le but est ensuite de distraire le public sans l’abêtir. J’ai envie d’embarquer le lecteur dans une grande aventure qui va le faire sourire, réfléchir et surtout voyager.

On ne pense pas du tout à un lecteur cible quand on écrit une histoire ?
Ch.A.
L’idée n’est pas d’aller chercher tel ou tel type de lectorat. Il n’y a pas de recette dans l’édition. À chaque fois qu’on veut appliquer une recette, je l’ai vu faire souvent autour de moi, les gens se plantent. Cela ne marche jamais. Il faut être complètement sincère dans ce que l’on fait. Une fois l’album terminé, on va en revanche adapter l’habillage à son contenu. Là, il nous fallait un habillage très baroque et on a donc été chercher Noémie Chevalier, qui a réalisé beaucoup de couvertures de roman. Sa couverture correspond parfaitement au contenu. Elle me plait beaucoup.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« La baroque épopée du monde qui ne voulait plus tourner » par Christophe Arleston et Dana Dimat. Drakoo. 15,90 euros.

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