Arnaud Le Gouëfflec : « Une mythologie avec des figures incroyables »
Avec « Underground, grandes prêtresses du son et rockers maudits », Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog racontent le destin souvent incroyable d’une cinquantaine de musiciens plus ou moins obscurs. Un voyage aussi sidérant que passionnant dans le monde de la musique underground. Une bible indispensable pour tous les fans de musique pas comme les autres.
Comment est né « Underground »?
Arnaud Le Gouëfflec. « Underground » est une intégrale de toutes les chroniques que nous avons réalisées, Nicolas Moog et moi, pour La Revue Dessinée, depuis 2013, auxquelles ont été ajoutées plus de 100 planches inédites réalisées spécialement pour l’album. C’est le scénariste Kris qui a parlé de ce projet de chroniques à la rédaction de La Revue, car il savait que je cherchais à concrétiser quelque chose dans ce registre. Ensuite, c’est Sylvain Ricard de La Revue qui nous a « mariés », Nicolas et moi. On avait comme point commun de carburer à la musique underground, au rock ou à ses dérivés, et de ne jamais avoir apaisé notre soif de découvertes. On est tous les deux musiciens. Donc on s’est entendus comme larrons en foire. Personnellement, le fait d’avoir rencontré des musiciens comme Eugene Chadbourne a bouleversé ma vie et ma vision des choses, et quand je pense que des gens comme Sun Ra ou Eliane Radigue ont existé, ça m’aide à me lever le matin. J’ai passé ma vie à chercher des trésors cachés.
Qu’est-ce qui vous plait dans la musique underground?
A.L.G. L’underground au sens large, c’est un monde caché où se déroulent des histoires inconcevables, où s’échafaudent des œuvres d’autant plus grandioses qu’elles ne sont pas exposées en pleine lumière. C’est surtout une mythologie avec des figures incroyables mais vraies, Moondog le viking de la sixième, Billy Childish, le Sherlock Holmes du rock garage, ou Lee Perry, le Salvador Dali jamaïcain.
Etiez-vous fan de la quarantaine d’artistes racontés dans le livre?
A.L.G. Absolument, et de bien d’autres.
Comment les avez-vous sélectionnés?
A.L.G. Le premier critère était d’avoir signé une œuvre longue, étirée dans le temps. A rebours des chansons isolées, des auteurs de one-shot, on a voulu se concentrer sur les créatrices et les créateurs d’œuvres au long cours. Le deuxième était de chercher au maximum à alterner artistes masculins et féminines, pour casser une fâcheuse tendance qui veut que les hommes soient davantage célébrés que les femmes.
Le dessinateur Nicolas Moog est également passionné de musique. C’était indispensable?
A.L.G. Oui, bien sûr. On s’est apporté mutuellement, on a échangé et j’ai appris grâce à lui plein de choses sur Townes Van Zandt, sur la scène de Tucson,… On est toujours tombés d’accord sur le choix des artistes, et il savait à chaque fois très bien de qui il s’agissait. J’adore sa capacité à passer d’un dessin plus cartoon à des portraits scrupuleux, proches de la gravure. Il me fait penser à Crumb qui, quand il dessine des musiciens de blues par exemple, est soudain dans un respect et une minutie extrême du trait, mais qui peut soudain changer de registre.
Comment avez-vous travaillé pour illustrer vos textes?
A.L.G. Tout ça prenait la forme d’un scénario de BD, avec suggestion de découpage, cadrage… Ensuite, Nicolas modifiait ce qu’il lui semblait bon de modifier et d’ajuster. L’objectif n’est pas le texte, mais la planche.
Vous ne vous limitez pas à des personnalités atypiques mais aussi à des courants musicaux comme le krautrock, le dub ou la scène musicale de Tucson…
A.L.G. Ce sont des mondes musicaux. L’histoire du krautrock, par exemple, est une odyssée à part entière où l’on croise une cartomancienne, le pape du LSD poursuivi par le FBI, un musicien franchissant le mur de Berlin, Salvador Dali, David Bowie et la bande à Baader. Tucson est un endroit que Nicolas connaît très bien pour y passer régulièrement, au point de faire lui-même partie de cette scène : c’est un pôle magnétique qui concentre un nombre hallucinant de talents au mètre carré. Le dub est un voyage de l’autre côté du miroir: l’avènement d’une musique psychédélique proprement jamaïcaine est un miracle de studio, provoqué par un accident technique.
Dans l’histoire sur le black metal, vous vous mettez en scène à la recherche du collectif brestois Les Légions noires. Vous avez vraiment retrouvé leur piste à la kermesse de l’école de votre fille?
A.L.G. Tout est absolument vrai dans cette histoire.
Est-ce que cette histoire incroyable n’aurait pas mérité une publication à part entière?
A.L.G. J’ai pensé à développer cette histoire sur un plus long format, mais ça impliquerait de révéler des choses qui doivent rester secrètes (sourires).
Lire « Underground » branché sur une plateforme d’écoute en streaming offre un plaisir énorme. N’avez-vous pensé à créer des playlists sur ces plateformes pour aiguiller vos lecteurs?
A.L.G. C’est en effet une bonne idée. Mais je ne pratique pas du tout les plateformes de streaming, et l’idée ne m’est donc pas venue. Je conseille aux lectrices et aux lecteurs de fouiller par eux-mêmes, c’est beaucoup plus passionnant, et si le livre peut servir de guide de départ, j’en serai très heureux. Je leur suggère aussi de soutenir les disquaires, qui se battent pour que la musique ne soit pas simplement dématérialisée.
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)
« Underground, grandes prêtresses du son et rockers maudits » par Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog. Glénat. 30 euros.