Alexandre Clérisse: « Pas qu’une histoire d’espionnage »

« L’Été diabolik » n’est pas un thriller d’espionnage comme les autres. Parce qu’il y est question de guerre froide sur fond de légèreté estivale. Parce que le récit diaboliquement malin de Thierry Smolderen s’articule sur deux périodes. Parce que les dessins d’Alexandre Clérisse sont juste magnifiques.

Après les années 50 avec « Souvenirs de l’empire de l’Atome », vous abordez ici les années 60. En quoi cette décennie est aussi excitante graphiquement ?

Alexandre Clérisse. Vers la fin des années 60, l’arrivée du psychédélisme, avec le rock et les psychotropes, amène des formes et des couleurs différentes, des arabesques, des effets cinétiques. Mais il y a aussi un retour de l’art décoratif du XIXe siècle style nouille avec des motifs floraux. Les gammes de couleurs s’inspirent aussi des Indes, avec des confrontations de rose et d’orange. Contrairement aux années 50, et ses formes géométriques, les années 60 sont tout en spirale et en fumée. Bref, beaucoup d’éléments étaient à exploiter.

Elles vous offrent quelques planches de trips psychédéliques. Comment on aborde ces cartes blanches où tout est plus ou moins possible ?

A.C. Je suis allé étudier les maîtres du genre, comme Guy Peellaert ou Tito Topin, et tous les graphistes qui réalisaient les affiches de rock de l’époque. J’ai essayé de comprendre leurs codes et de les adapter au récit. Ce n’était pas carte blanche pour le coup, mais ce fut les pages les plus référencées à découper au millimètre !

Vos dessins sont entièrement réalisés sur Illustrator. Que vous apporte cette technique ?

A.C. Je crée mes personnages comme des sortes de marionnettes que j’anime et que je déplace. J’ai une large vision d’ensemble de mes pages et je peux travailler dans les marges. J’ai aussi créé des textures en aquarelle que j’intègre pour donner du relief. Ce procédé me permet d’avoir une vision colorée de mes pages assez vite et permet à Thierry de me faire des retours pour ajuster la narration jusqu’à la touche finale.

Le scénario de Thierry Smolderen vous emmène sur les traces de Diabolik, le héros d’une BD italienne des années 60…

A.C. Je ne connaissais pas Diabolik qui n’est pas de ma génération, mais de celle de Thierry. Il m’a d’abord montré le film de Mario Bava. C’est lui qui m’a le plus inspiré. Pour les BD, j’ai surtout gardé le traitement des ambiances sombres et des séquences en silhouette. Beaucoup d’autres influences s’y sont mêlées comme les illustrateurs de mode de l’époque: Peak, Mc Ginnis, Paul Gillon, Grazia Nidasio… et bien d’autres. Nous avons aussi voulu mettre en avant le travail de David Hockney, qui est le peintre emblématique de cette période et toujours à la pointe de l’actualité.

La référence aux films d’espionnage vous a immédiatement enthousiasmé ?

A.C. Oui ! Je me suis replongé dans les romans de John le Carré et les films qui en ont été adaptés: « The spy who came in from the cold », « Kremelin letter », « The ipcress files »… J’ai analysé les cadrages, décomposé les couleurs et le travail de la lumière. On y apprend beaucoup sur la façon de faire monter le mystère et la tension dans la mise en scène.

Dans ce récit, l’histoire se dévoile dans une deuxième partie écrite par le narrateur vingt ans plus tard. Avez-vous découvert le scénario comme le lecteur ou aviez-vous besoin d’en connaitre tous les détails pour glisser quelques indices ?

A.C. Thierry me l’a donné directement sans me donner les clés de l’intrigue. Je l’ai lu d’une traite dans le train et j’en ai eu des sueurs froides ! Je suis, bien sûr, obligé de connaître toute l’histoire pour la dessiner. D’ailleurs, je dessine les planches dans le désordre et nous avons retravaillé finement sur les pages pour calibrer les indices jusqu’à la toute fin.

D’ailleurs, je ne l’ai pas encore relu une deuxième fois, mais est-ce qu’il y a des indices ?

A.C. (ALERTE SPOILER) Bien sûr. La raquette de tennis dans son étui par exemple est le plus évident, mais il y a aussi les traces de pas de Joan autour de la piscine…

« L’été Diabolik » est un thriller d’espionnage, mais aussi l’histoire d’un adolescent dans les années 60. Certains s’affrontent dans une guerre froide alors que d’autres se disputent les faveurs d’une jolie Michèle. Il était intéressant de faire télescoper ces deux univers ?

A.C. C’était le désir de base de Thierry de marier une histoire très mystérieuse et sombre avec des enjeux planétaires sur fond de légèreté estivale. C’est ce qui, pour moi, fait la force d’un récit et n’en fait pas juste une histoire d’espionnage. C’est tout le talent et l’art de Thierry de nous perdre en nous amenant sur des fausses pistes frivoles et éviter que l’on cherche la solution de l’histoire. Pourtant la clé de l’histoire est dans cette frivolité…

Il y a quelques références géographiques, comme Rochefort et La Rochelle, donc je parierai sur Royan comme source d’inspiration pour cette ville de bord de mer ?

A.C. En fait, on s’était plutôt orienté vers Biarritz, car l’arrière-pays est montagneux, mais au fur à mesure, on a décidé d’en faire une station balnéaire lambda de la côte atlantique française. Certaines personnes y voient même de la Côte d’Azur. Cela devait surtout ressembler aux souvenirs de vacances de monsieur et madame tout le monde.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« L’été diabolik » par Alexandre Clérisse et Thierry Smolderen. Dargaud. 21 euros.

Chronique de « L’Eté diabolik »

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