David Hasteda : « J’ai imaginé la suite de l’évasion »

En juin 1962, trois détenus se sont évadés de la prison d’Alcatraz. Le FBI les recherche encore. Passionné par cette histoire déjà racontée dans un film avec Clint Eatswood, David Hasteda préfère imaginer la suite de l’évasion et notamment le parcours de Frank Lee. Une option originale, parfaitement maitrisée et totalement crédible qui lui permet également de traiter de la rédemption de son personnage principal.

Comment avez-vous découvert cette histoire d’évadés d’Alcatraz ?
David Hasteda.
Tout d’abord, la première rencontre avec les évadés d’Alcatraz se fait par le prisme de la télévision quand à 11 ou 12 ans, je découvre le film de Don Siegel « Escape from Alcatraz ». Le charisme de l’acteur Clint Eastwood, l’ingéniosité du plan et la volonté des participants me rendent l’évasion plus qu’épique. Ce film de 1979 va devenir un de mes films cultes, j’en aurai la VHS, le DVD et le Blu-ray. Début des années 2000, de par ma profession, je découvre San Francisco et la visite de l’île d’Alcatraz devient un incontournable de mon séjour californien. Depuis je consulte des articles et photos disponibles sur le net, je lis des ouvrages sur le sujet et je regarde à peu près toutes les émissions qui se focalisent sur cette évasion mythique. Sans m’en rendre compte, je parviens à rassembler anecdotes et versions différentes de l’évasion pour à mon tour me faire ma propre idée du déroulement de ce que Frank Lee Morris et les frères Anglin sont parvenus à accomplir dans la nuit du 11 au 12 juin 1962.

Pourquoi ne pas avoir raconté l’évasion ?
D.H.
L’évasion en elle-même a tellement de fois été racontée que l’idée de la relater à nouveau ne me paraissait pas primordiale. Dès le début quand je me suis intéressé au sujet au point d’écrire une première version d’un scénario, l’idée des flashbacks s’est imposée d’elle-même. Je commencerai donc l’histoire là où dans tous les articles, livres et reportages, l’histoire se terminait. « Frank Lee, l’après-Alcatraz », comme son nom l’indique, débute à la suite de l’évasion et ne revient sur the Rock qu’à travers des bribes de mauvais souvenirs et de moments clefs.

L’idée d’inventer la suite de leur évasion, alors que le dossier est toujours ouvert aujourd’hui, s’est faite naturellement ?
D.H.
Lors d’une de mes visites à Alcatraz, j’ai découvert qu’ils avaient rajouté un avis de recherche pour les trois évadés, avec des photos réactualisées et des visages vieillis numériquement. Ce devait être aux alentours de 2009 ou 2010. Je n’étais pas encore un scénariste déclaré, mais je me suis dit que cela ferait une bonne histoire. Une histoire jamais racontée puisque la seule question que tout le monde se pose est de savoir si les évadés ont réussi ou pas. J’ai vu ensuite l’émission « Mythbusters » qui parvenait à réussir l’évasion dans les mêmes conditions et avec les mêmes ustensiles utilisés à l’époque par Frank Lee et ses complices. Je crois qu’à partir de ce moment, le récit de l’après-Alcatraz a commencé à faire son chemin dans ma tête pour ne plus jamais la quitter.

Vous avez choisi de vous concentrer sur Franck Lee. Pourquoi lui et pas les frères Anglin ? Est-ce dû en partie à l’interprétation de Clint Eastwood dans le film « L’évadé d’Alcatraz » de Don Siegel ?
D.H.
Comme le dit le personnage de Frank Lee dans le récit : « Après ce film, Frank Lee Morris aura la gueule d’Eastwood ! ». Il est vrai que l’interprétation de Clint Eastwood rend le personnage attractif. Mais en dépassant le cadre du film, j’étais passionné par l’idée de suivre une personne intelligente et plus douée pour les évasions à répétition que pour la vie en parfaite liberté. Alors, même si la découverte d’une photo des deux frères Anglin à Rio et une correspondance écrite par l’un d’eux sont venus accompagner le début de la rédaction de mon récit en 2016, Frank Lee a toujours été mon sujet principal.
Le fait qu’il soit considéré d’une intelligence supérieure, mais que cela ne soit d’aucune aide pour l’empêcher de faire des mauvais choix, qu’il soit emprisonné à 13 ans après avoir été baladé d’une famille d’accueil à l’autre, qu’on se rappelle de lui pour s’être évadé d’Alcatraz, mais qu’on en oublie quatre autres évasions et plus de quinze ans derrière les barreaux, fait de lui un personnage à explorer.
Frank Lee a sa part d’ombre, au sens propre comme au figuré, beaucoup de pans de sa vie restent obscurs. Son casier judiciaire ne s’est rallongé qu’avec les nombreuses récidives et tentatives d’évasion et il était pour moi le choix idéal entre les trois évadés pour se voir offrir une seconde chance romancée dans la vie… puisqu’il a survécu dans notre récit.

Sur quels faits incontournables avez-vous basé votre fiction ?
D.H.
Le récit est comme un jeu de piste, un jeu de points à relier. Pour ce faire, il faut prendre connaissance de nombreux faits et autres spéculations. Les faits incontournables sont ceux qui concernent l’évasion à proprement dite. À partir du moment où les évadés arrachent des panneaux de l’île pour en faire des rames et partent sur leur radeau de fortune, le reste n’est que supposition et des suppositions il y en a presque autant que de personnes qui se sont penchées sur le sujet.
Pour faire court, j’ai avancé pas à pas dans la construction de la suite de l’évasion. Premièrement si le plan était de rejoindre la proche Angel Island, la lecture des courants marins dans la baie rend plus que plausible le fait qu’ils aient pu dériver par-delà le Golden Gate Bridge, soit à l’opposé de l’île visée. Avec un peu de chance et une embarcation qui aurait tenu le choc de la traversée, les trois fuyards auraient pu dépasser Point Diable et pourquoi pas rejoindre les Marin Headlands… comme dans notre récit. Dans ce comté et comme on peut le voir dans les archives du FBI sur l’affaire, une voiture fut volée alors qu’elle était garée sur un parking en haut des falaises non loin de là. Le report de ce vol a été consigné seulement 48 heures après l’évasion et n’a pas été associé à celle-ci. Pourtant, des témoignages relatent la présence de cette voiture le 12 juin 1962 à l’est de San Francisco avec potentiellement deux ou trois personnes à son bord. J’utilise donc ces événements pour servir le récit et les interactions des personnages. Comme pour les évadés, je compose avec ces événements pour entreprendre et raconter une fuite en avant plausible scénaristiquement, mais aussi réaliste que possible.

Il était important d’être le plus crédible possible…
D.H. J’ai composé la suite de l’évasion en prenant des éléments historiques et des suppositions dans l’enquête. Le récit s’étalant sur plusieurs années, il fallait garder ce souci d’une certaine réalité. Pas question d’avoir de l’action gratuite et autres courses poursuites endiablées. De la même sorte, Frank Lee allait devoir découvrir un monde dont il avait été privé après plusieurs années en prison. Entre les différents actes, Frank Lee reprend son rôle de narrateur et accompagne le lecteur dans cette fuite en avant. Les années passent, l’homme marche sur la lune, la société change et Frank Lee aussi. La confiance en soi et en autrui, l’amour, autant de thèmes abordés dans le récit, des thèmes qui vont transformer Frank Lee en un autre homme. Une démarche crédible et possible, non ?

Qu’est-ce que Ludovic Chesnot a apporté à votre récit d’un point de vue graphique ?
D.H. Son travail est un véritable soutien à l’ambiance du récit. Ses couleurs, ses recherches graphiques sur les vêtements ou sur les véhicules viennent soutenir mes propres recherches. Par ailleurs, l’évolution de son traitement graphique vers un plus grand réalisme donne un plus de crédibilité. Comme le soulignent les premiers lecteurs, le récit en devient plausible.

« Frank Lee, l’après-Alcatraz » est aussi une histoire de rédemption…
D.H.
La rédemption est primordiale pour ce genre de personnage, la fameuse seconde chance à laquelle chacun a le droit. Quand on écrit, on laisse un peu de soi dans la composition d’un personnage. J’ai commencé à écrire Frank Lee il y a cinq ans à un moment où j’affrontais un divorce et le manque d’un fils que je ne voyais plus tous les jours. J’ai perdu pied à ce moment-là et la seconde chance que je donnais à Frank Lee, c’était un peu celle que je rêvais d’avoir pour aplanir certains aspects de ma vie. Comme Frank Lee, j’allais changer pendant ces cinq années d’écriture. Entre optimisme et désillusions, doutes et opportunités, j’ai projeté beaucoup de moi dans Frank Lee.

Est-ce lié à la personnalité de Frank Lee ?
D.H.
Frank Lee est un être complexe, capable de démonter les mécanismes du pire environnement carcéral, mais en même temps incapable de se faire oublier et disparaître pour de bon une fois dehors. Un personnage intelligent, mais je pense terriblement égoïste, c’est du moins comme cela que j’essaye de le dépeindre au début du récit avant de lui donner de plus en plus d’empathie au fur et à mesure de l’aventure. Il est, je pense, attachant et touchant parfois dans son hésitation à se reconstruire. Frank Lee est un homme nouveau à la fin du récit et cela grâce à d’autres personnages qu’il va croiser sur sa route. Chacun d’entre eux va prendre une place particulière dans le film de sa vie. Clint Eastwood était charismatique et d’une intelligence redoutable à l’écran, le Frank Lee de cette biographie romancée est plus impulsif, instinctif, un peu comme l’était le vrai Frank Lee Morris… Enfin, c’est notre version à Ludovic Chesnot et moi.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Frank Lee, l’après-Alcatraz » par David Hasteda et Ludovic Chesnot. Ankama. 19,90 euros.

Share