Yann Le Quellec: « Faire ressentir l’émotion »
Avec « Les amants d’Hérouville », Yann Le Quellec et Romain Ronzeau racontent l’incroyable histoire du compositeur et plasticien Michel Magne. Très documenté et superbement mis en image, ce passionnant roman graphique parvient à nous plonger au cœur des fêtes psychédéliques du château et à retranscrire toute l’énergie créatrice de cet artiste hors-norme.
Quel a été le point de départ de cet album : Michel Magne ou le château d’Hérouville?
Yann Le Quellec. C’est un peu les deux puisque c’est le récit d’un journaliste après le concert donné par le Grateful Dead au château en présence de Michel Magne. L’article, qui est publié dans l’album, raconte que tous les habitants du village se sont retrouvés le lendemain au café de la poste et se sont regardés en chien de faïence car ils avaient un peu tous fricotés avec tout le monde durant la soirée. Avec ce château où enregistraient des artistes psychédéliques américains, Michel Magne avait créé un lieu où pouvaient se rencontrer des paysans et des médecins dans une ambiance un peu folle. C’était intriguant.
Votre album est sous-titré « Une histoire vraie ». C’est un moyen de préparer le lecteur à découvrir une histoire assez incroyable?
Y.L.Q. Je ne sais pas si elle est incroyable mais elle est véridique. Nous sommes dans ce que les anglo-saxons appellent la narrative non-fiction. Nous sommes partis d’un matériau documentaire dont nous avons essayé de mettre en avant l’aspect romanesque. Cela se concrétise par des recours à des photos, mais aussi à des témoignages d’époque ou de personnes encore vivantes.
En lisant « Les amants d’Hérouville »», on devine que Marie-Claude Magne a joué un rôle prépondérant dans cet album…
Y.L.Q. On a fait un travail de recherches documentaires très important qui passait notamment par des interviews. Effectivement, la collaboration de Marie-Claude Magne a été très importante, puisqu’elle nous a raconté sa propre expérience au château d’Hérouville puis à Saint-Paul-de-Vence et à Paris. Elle nous a aussi donné accès à ses archives personnelles qui permettent d’incarner l’aspect documentaire du livre. On a également recueilli d’autres témoignages comme ceux du cuisiner du château Serge Moreau ou du chanteur Iggy Pop.
Vous rendre au château d’Hérouville a été un moment particulier ?
Y.L.Q. J’y suis allé de nombreuses fois mais la plus marquante a été la première fois. Cela correspond à l’épilogue photographie du livre. C’était aussi la première fois que Marie-Claude Magne y retournait. Le château n’avait pas encore été repris. C’était une ruine gagnée par la végétation. Marie-Claude y voyait ce qu’elle avait connu lors des belles heures du lieu. Il y avait quelque chose de très étrange et assez fantomatique. La question des fantômes est d’ailleurs quelque chose qui revient dans toute l’histoire du château. On prêtant que ceux de George Sand et Frédéric Chopin errent dans le château.
La musique était aussi au cœur de votre première collaboration avec le dessinateur Romain Ronzeau « Love is in the air guitar » mais aussi de votre court-métrage « Je sens le beat qui monte en moi ». Cela ne peut pas être une simple coïncidence?
Y.L.Q. J’ai une vraie passion pour la musique et certains courants comme le northern soul. Mais, ce n’est pas mon métier. La bande dessinée non plus. Je suis plutôt réalisateur, scénariste et producteur. Cette histoire était donc parfaite pour moi car elle était à la croisée de plusieurs de mes passions.
Est-ce que la musique de Michel Magne vous a accompagné voire influencé durant l’écriture de cet album?
Y.L.Q. Sa musique mais aussi son œuvre de plasticien, car beaucoup de ces œuvres sont reproduites dans le livre. Mais, il y a aussi des clins d’œil de Romain (Ronzeau). Quand des personnages se déplacent sur des partitions, cela fait écho à des œuvres de Michel Magne. Plus généralement, on avait cette idée que Magne se caractérise par un vrai éclectisme et une grande liberté. La forme de notre BD devait être un minimum homogène avec le fond. Il fallait qu’on trouve la meilleure façon de raconter cette histoire de façon pas trop conventionnelle tout en restant accessible et si possible émouvant. Il y avait un jeu de réappropriation non pas littéral mais par effet d’écho.
C’est le cas pour les soirs de fête au château d’Hérouville avec des planches composées comme des collages, qui retranscrivent parfaitement l’ambiance de ces soirées…
Y.L.Q. C’est exactement cela. On a à la fois un récit à mener avec des informations à faire passer mais aussi un aspect plus impressionniste du domaine de la sensation. Que l’on fasse des films, de la musique ou du roman graphique, ce n’est pas du tout la même chose de décrire une émotion ou de la faire ressentir par le médium. On n’avait pas envie d’assener les choses mais plutôt d’essayer de faire passer quelque chose du fantasme que l’on a de ce que pouvait être l’émotion de ces moments-là.
« Les amants d’Hérouville » est aussi une vraie tragédie. C’était aussi ce qui vous intéressez dans cette histoire, de montrer comment un homme peut sombrer dans la dépression ?
Y.L.Q. C’était davantage dans le rapport qu’entretiennent le rêve et la folie. Il y a un côté complètement obsessionnel dans l’énergie que Michel Magne met à vouloir que son rêve devienne réalité. C’est aussi ce qui fait que lorsque son rêve lui échappe, cette énergie créatrice devienne alors destructrice et mène au suicide. C’est un peu comme Don Quichotte qui ne sait qu’avancer en rêvant. Quand il cesse de prendre les moulins pour des géants, il n’a plus qu’à mourir car il n’a plus de moteur. Michel Magne n’avance que par projection. Quand elle se heurte trop fort au réel, cela peut avoisiner avec la folie.
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)
« Les amants d’Hérouville » par Yann Le Quellec, Thomas Cadène et Romain Ronzeau. Delcourt, collection Mirages. 27,95 euros.