Thomas Tcherkézian : «Les personnages sont le récit»

Sur un scénario de l’incontournable J.-D Morvan intitulé « Missak, Mélinée et le groupe Manouchian », le dessinateur arménien Thomas Tcherkézian retrace le destin tragique de ces résistants, exécutés par l’occupant allemand en février 1944. Un album très documenté sur ces héros qui entrent enfin au Panthéon.

Vous êtes d’origine arménienne comme Missak Manouchian. Est-ce que vous vous êtes senti investi par une sorte de responsabilité de dessiner cet album?
T.T.
Je ne dirais pas que j’ai ressenti de responsabilité mais plus simplement une envie. Dans le mot “responsabilité”, il y a une forme de solennité et d’obligation qui ne colle pas vraiment avec l’approche que j’ai eue en réalisant cet album. C’est quelque chose de très spontané qui m’a motivé quand Jean-David m’a proposé le projet Manouchian. Je me suis dit que c’était une véritable aubaine de pouvoir faire d’une pierre deux coups en réalisant ma première bande dessinée tout en amenant une dimension plus personnelle à travers ce travail de mémoire.




Travailler sur le groupe Manouchian était aussi une opportunité d’approfondir vos connaissances sur vos racines?
T.T.
Bien sûr. D’une chose en découle une autre. En travaillant sur l’histoire et le parcours de Missak Manouchian, les échos avec ceux de mes arrière-grands-parents étaient trop nombreux et évidents pour ne pas faire le pont. Je me suis également rendu compte que, peut-être étant trop jeune pour ça, je n’avais encore jamais eu la véritable curiosité d’approfondir la connaissance de mes origines. Cet album a sûrement été l’occasion de déclencher le début de cette curiosité. Les simples faits d’y avoir participé, que j’en parle, que je le partage autour de moi, les rencontres que j’ai faites depuis et ce qu’elles amènent me permettent déjà de mieux connaître mes racines.

En se focalisant sur l’humain et en oubliant les décors, vos cases vont à l’essentiel. C’était important pour cette histoire?

T.T.
“Missak, Mélinée et le groupe Manouchian” est avant tout l’histoire d’hommes et de femmes FTP-MOI. Ils ne sont pas uniquement les personnages principaux du récit, ils sont le récit donc la manière de narrer à travers le dessin a naturellement penchée vers cette focalisation. Comme le dit également Jean-David, “je veux donner au lecteur le sentiment d’apprendre des choses sans s’en rendre compte, dans le mouvement de l’histoire”. Et c’est en allant à l’essentiel que l’on rend la lecture plus fluide, plus instinctive, plus digeste et que l’on permet cette assimilation. D’autant que l’album est relativement volumineux, c’était déterminant d’essentialiser pour délivrer ce que l’on voulait transmettre.

Peut-on y déceler l’influence des comics?

T.T.
Les comics ont joué un grand rôle dans mon évolution stylistique. Ils ont été une large source d’inspiration durant toute mon adolescence, aux prémices de ma recherche d’identité visuelle. Ils ont participé à ma construction. D’une manière ou d’une autre leur influence sera à jamais présente dans ma façon de dessiner, surtout du fait qu’elle se soit manifestée aussi tôt.

Jean-David Morvan laisse beaucoup de place au dessin, avec des dialogues plutôt minimalistes dans cet album. C’est une aubaine pour un dessinateur?

T.T.
Si Jean David laisse beaucoup de place au dessin, avec des dialogues minimalistes, ce n’est sûrement pas involontaire. Missak Manouchian était avant tout un homme d’action animé par l’engagement et la défense d’idéaux sur le terrain. Donc assez logiquement, la meilleure manière de le retranscrire a été de laisser une part assez importante au dessin. La véritable aubaine pour un dessinateur a en réalité été de réaliser un récit comme celui de Missak Manouchian.
De plus, certains passages sont assez denses en contexte historique comme les pages d’attaque, les portraits des FTP-MOI ou le fil rouge que constituent les scènes de dialogue entre Mélinée et Charles Aznavour. Contrebalancer avec des scènes très visuelles a permis de trouver un juste équilibre dans la narration en essayant de créer un cheminement de lecture agréable et proportionné entre texte et image.

Les attentats sont représentés par des cases uniques. Vous réussissez malgré tout à y retranscrire beaucoup de dynamisme… 

T.T.
Rafa Ortiz (qui a dessiné ces cases): Jean David m’a donné une description détaillée du moment de l’action, avec des références et des photos. Nous voulions que ce soit un moment de dynamisme et de choc. Dans presque tous les cas, nous avons choisi le bon moment de l’explosion ou de l’attaque. Bien que le style de dessin change un peu par rapport au travail de Thomas, nous avons pensé que c’était une bonne idée de diviser la page en deux grandes cases, horizontalement ou verticalement, de sorte qu’elles fonctionnent également comme une sorte de photographie, représentant des actions dont il n’existe pas de documents visuels, profitant de la différence mentionnée ci-dessus en faveur du récit.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Missak, Mélinée et le groupe Manouchian » par J.-D Morvan et Thomas Tcherkézian. Dupuis. 25 euros.

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