Eric Chabbert: «Les mondes interlopes d’Orbital»


Alors qu’«Orbital» suit les missions officielles de deux agents de l’ODI chargés de préserver la paix intermondiale, son spin-off «Outlaws» plonge dans les bas-fonds où sévissent la violence, les cartels et la corruption. Passionné de science-fiction, son dessinateur Eric Chabbert a pris beaucoup de plaisir à créer ces nouveaux décors.


Dans le communiqué de presse, il est mentionné que ce projet de spin-off avait attiré votre attention. C’est vous qui vous êtes proposé pour le dessiner?
Eric Chabbert.
On s’est rencontrés avec Sylvain dans une brasserie parisienne. En discutant sur un futur projet à développer en commun, il m’a parlé de ce spin-off d’ »Orbital » pour lequel il n’avait pas encore de dessinateur réellement attitré. Sylvain n’avait pas vraiment trouvé de dessinateur qui convienne et il était prêt à envisager la possibilité d’avoir sur ce spin-off un dessin totalement différent d’ »Orbital ». Je lui ai alors dit que je pouvais travailler en couleurs directes et m’inscrire dans la même ligne graphique que la série mère et que cela m’intéressait grandement de faire des essais. C’était un peu un challenge pour moi et j’avais envie de montrer que je pouvais le faire. Sur ce point, je remercie Sylvain et Serge de n’avoir eu aucun a priori.
En général, les éditeurs pour des reprises ou des spin-offs préfèrent s’adresser à des auteurs qui ont déjà montré dans leurs albums des similitudes graphiques très fortes avec la série d’origine. Ceci dit, on peut remarquer que le syndrome bicéphale (Giraud-Moebius par exemple) s’est beaucoup généralisé dans les nouvelles générations d’auteurs plus promptes à changer de style. Un marché en constante mutation guide aussi ces choix-là. Les auteurs qui travaillent sur une seule série toute leur vie avec un dessin toujours relativement similaire sont de plus en plus rares.

Vous étiez un lecteur d’«Orbital»?
E.C.
Oui, je connaissais très bien «Orbital», série que j’appréciais tout particulièrement. Ce qui me plaît beaucoup, c’est la densité de cet univers à la fois scénaristique et graphique. Orbital a la grande qualité de proposer des histoires avec des sous-textes (réfugiés clandestins, immigration,…), des renvois à notre actualité à travers une subtile métaphore de l’Europe et du Traité de Maastricht et de manière générale Sylvain développe une vision non-manichéenne proche de celle d’un George RR Martin par exemple.
Concernant le dessin, on y trouve une belle inventivité de forme aussi bien sur les aliens que sur les vaisseaux spatiaux, les diverses architectures et la structure globale de l’univers. En outre, le rendu graphique en couleurs directes avec trames au crayon et traitement des arrière-plans de manière plus légère au crayon ou traits grisés en dégageant nettement les premiers plans pour créer d’efficaces effets de profondeur me séduisait vraiment et me donnait envie de me fondre dans cet univers en y participant pleinement. Il y a là quelque chose de plus vivant et de plus original qu’avec un traitement couleur purement numérique. Ça me rappelle certains aspects graphiques de «La Caste des Méta-barons» ou de la trilogie «Nikopol». «La femme piège» avait été un vrai choc visuel pour moi.

Sylvain Runberg vous a expliqué ses motivations à créer cette série spin-off plutôt qu’à poursuivre «Orbital»?
E.C.
En fait Sylvain n’arrête pas du tout «Orbital». Serge travaille actuellement sur le tome 9. Sylvain avait seulement envie de développer son univers avec les mondes interlopes d’Orbital à travers le destin de la sœur de Caleb, Kristina. Loin des valeurs de la Confédération et des instances officielles, la série «Outlaws» s’inscrit dans ces bas-fonds confédérés extraterrestres, dans une société parallèle échappant aux lois de la Confédération et où sévissent la violence, les cartels et la corruption. L’univers d’«Outlaws» est le miroir inversé de celui d’«Orbital». Alors que Caleb et Mézoké sont des diplomates qui évoluent au contact des plus hautes instances politiques Confédérées, Kristina va, elle, explorer la face la plus sombre de la Confédération, celle où règnent la corruption et le crime organisé.

«Outlaws» se déroule donc dans le même univers que «Orbital». Cela impliquait des similitudes dans le traitement graphique?
E.C.
Je trouvais vraiment important de garder une vraie filiation avec «Orbital» pour que le lecteur se sente en terrain connu de manière à faciliter son immersion. Et c’est de cette manière que je conçois en général les spin-offs, justement dans cette continuité graphique avec la série mère. Mais tout en gardant cette fidélité à un style de dessin préalable, on amène forcément à un moment donné un peu de notre personnalité. Par exemple, j’aime dessiner des architectures et ce goût-là transparaît dans «Outlaws». Sylvain m’a laissé toute liberté pour les angles de vue et les choix de designs. Par conséquent j’ai eu carte blanche pour développer ce sens du spectacle ou «sense of wonder» que j’apprécie et qui donne de l’amplitude participant à l’aspect épique bien présent dans le scénario de Sylvain. Chaque auteur, même s’il intègre des codes et une grammaire bien spécifiques à un autre auteur, a forcément sa propre vision des choses dans le découpage, les cadrages, les angles de vue et certains éléments de designs.
L’intérêt d’«Outlaws» c’est que l’on se balade dans des décors très différents de la série mère avec des aliens qui sont réalisés dans l’esprit d’«Orbital» mais que l’on n’a encore jamais vus. Ce challenge était particulièrement passionnant. Je pense notamment à la ferme des Permapodes qu’il a fallu totalement imaginer de A à Z car je ne voyais absolument aucune référence à quoi se raccrocher ni dans des films ni dans d’autres BD de science fiction. Et c’est ça qui est excitant. C’est un vrai moteur pour l’imagination et la créativité.

«Outlaws» est peuplé de nombreuses races extraterrestres avec pas mal de dialogues. Est-ce plus difficile que pour des humains de leur donner une expressivité?
E.C.
Justement, en abordant un style semi-réaliste, il est beaucoup plus facile de donner de l’expressivité aux personnages. Dans un dessin réaliste, c’est nettement plus difficile et les dessinateurs réalistes qui arrivent à obtenir beaucoup d’expressivité font glisser consciemment ou inconsciemment leur dessin vers un dessin semi-réaliste. Après, dans «Outlaws», on découvre beaucoup d’aliens et c’est un exercice un peu plus complexe pour être pleinement expressif. Il est vrai que dans «Orbital» comme dans «Outlaws» les aliens n’ont pas toujours de nez ni parfois de bouche très visible et assez rarement des oreilles. Donc le secret c’est que lorsque vous avez un alien important qui occupe un premier rôle en quelque sorte, il faut impérativement que l’alien ait une bouche et des yeux bien visibles pour qu’il puisse clairement exprimer plusieurs états émotionnels et communiquer lisiblement ses émotions au lecteur. Pour les aliens qui apparaissent en arrière-plan c’est beaucoup moins important et ils peuvent paraître extrêmement bizarres avec des formes parfois très étranges, ça ne posera pas de vrai problème.


C’est votre troisième série de science-fiction après «Nova Genesis» et «Uchronie(s) New Byzance »…
E.C.
Ah… c’est vrai que je suis un grand fan de SF (sourire). J’ai lu beaucoup de romans SF, Asimov, Van Vogt, Orwell, Huxley, Herbert, Farmer, C. Priest , K. Dick, Disch, Silverberg, Sturgeon, Simak, Dan Simmons… Pendant mes études, j’ai même participé à travers des dessins de couverture et quelques articles au lancement et au développement d’un fanzine de fantastique-SF «Démons et merveilles» avec Benoît Domis qui depuis, a traduit de nombreux romans SF. J’ai été abonné au journal Métal Hurlant. Et j’ai bien sûr été fortement impressionné par les œuvres de Moebius, Arzach et «Le garage hermétique», celles de Druillet avec son sens du spectaculaire et du grandiose ainsi que de Mézières avec son Valérian et son formidable bestiaire cosmique.


Qu’est-ce qui vous plaît dans ce genre?
E.C.
La SF offre un regard pertinent pour mieux comprendre le monde qui nous entoure et faire face aux nombreux défis du futur. A ce titre, les USA ont initié dans les années 80 un projet «Red Team» qui réunissait de nombreux auteurs de SF pour imaginer les menaces du futur. Une nouvelle «Red Team» a été annoncée en France en 2019 par l’AID (Agence de l’Innovation de Défense) composée également d’auteurs et de scénaristes de SF pour anticiper les risques technologiques, économiques, sociétaux et environnementaux susceptibles d’engendrer de potentielles conflictualités à l’horizon 2030-2060, ce qui prouve bien que la SF a vraiment maintenant une grande importance. C’est un juste retour des choses pour un genre qui a été longtemps méprisé. La pop culture a bien sûr beaucoup aidé à populariser ce genre et « Star Wars », « Alien », « Blade Runner », « Matrix », « Battlestar Galactica » (de 2005) ont contribué à cette reconnaissance…
Ce qui me plaît dans la SF, c’est qu‘elle a une profondeur inégalée. La SF peut avoir une dimension politique (« Dune », 1984,…), sociologique (Le meilleur des mondes…), philosophique voire métaphysique (« Rendez-vous avec Rama » d’Arthur C Clarke). Les films, les romans, les BD relevant de la SF sont autant d’exercices philosophiques qui interrogent l’identité humaine, ses métamorphoses et qui questionnent l’être humain sur sa propre réalité et celle du monde qui l’entoure (cf K .Dick).

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Outlaws – Tome 1. Le cartel des cimes » par Éric Chabbert et Sylvain Runberg. Dupuis. 14,95 euros.

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