Sylvain Frécon: « A 90 piges, on ne va plus s‘emmerder »

«#Lesmémés» de Sylvain Frécon osent tout. Leur créateur en profite pour leur écrire de petites histoires à la fois drôles et mélancoliques. Deux tomes à découvrir dans une édition grand format chez Fluide Glacial.

Avez-vous eu des modèles pour créer Huguette, Lucette et Paulette?
Sylvain Frécon.
Tout simplement les mémés du 20e arrondissement que je croise quand je sors de chez moi. La meilleure heure pour les observer, c’est en matinée, avant l’heure du déjeuner. Ensuite vient l’heure de la sieste, elles sont moins visibles. Elles sont pourtant là, elles existent, elles vivent leurs vies discrètement, ne demandant rien à personne, s’excusant presque d’être encore là, dans une société qui privilégie ceux qui font la course en tête. Beaucoup de lecteurs m’ont avoué qu’ils les remarquaient davantage après avoir lu mes albums. Si ma série peut les rendre moins invisibles, j’en serais très heureux.

Vos mémés devaient être très différentes de la légendaire Carmen Cru, également hébergée par les éditions Fluide Glacial? Elles sont en tout cas plus sympathiques…
S.F.
Un moment j’ai en effet pu craindre une collusion entre l’immense Carmen Cru qui reste une référence incontestable de l’univers Fluide et mes mémés. Mais les gens de Fluide m’ont vite rassuré : mes mémés se démarquent sans problème de la vieille acariâtre et misanthrope imaginée par Lelong. Elles sont optimistes, sociables, ancrées dans leur époque et nettement plus fréquentables que Carmen Cru. Je pense qu’elles sentent meilleures en plus, sans vouloir manquer de respect à Carmen. Une nouvelle génération de vieilles on va dire.

Vos planches font rire mais peuvent aussi plonger le lecteur dans une certaine mélancolie. On y parle beaucoup de solitude. Vous aviez envie d’aller plus loin que l’album de gags?
S.F.
Il y a en effet quelque chose qui me touche chez ces vieilles dames qui se retrouvent à finir en solo leur parcours de vie. Les statistiques sont là : 85,3 ans d’espérance de vie pour les femmes et 79,3 pour les hommes. C’est sur cette différence de 6 ans que se focalise la série. La santé se fragilise, le cercle social se rétrécit, mais elles s’accrochent et restent d’une certaine manière libres et indépendantes, même si se rendre à la supérette du coin peut devenir de plus en plus compliqué. Quant à la mélancolie, ça semble être un gros ingrédient de ma personnalité.

La mort rôde également dans de nombreuses planches. Est-ce difficile de faire rire avec un sujet aussi tragique?
S.F.
La mort, j’ai envie de dire que ça fait un peu partie de leur actu, avec les petits pépins de santé et les médicaments à prendre. Et puis leur cercle social se réduit forcément, la mort opère des plans sociaux elle aussi. Donc oui, elles en parlent sans complexe, et de ce qu’il y aura après. Parler de la mort permet aussi d’évoquer tout ce qu’il y a eu avant. Rire de la mort, c’est une manière de faire avec. Car à rire de la mort de ces mémés, je songe irrémédiablement à la mienne (petite info, j’ai juste 49 ans). L’important pour moi est d’en rire avec bienveillance pour les premières concernées.

Vous parlez en revanche assez peu de religion. C’est pourtant un sujet important pour cette génération, non?
S.F.
J’ai le vague souvenir d’y faire quelques allusions dans le tome 1, mais je pense qu’il en sera davantage question dans le tome 3. J’imagine qu’on devient forcément mystique dès lors qu’on s’approche du grand plongeon final. Enfin je suppose…

Vos mémés osent tout. C’est une aubaine pour un auteur, n’avoir aucune limite?
S.F.
Tout à fait. C’est ce qui semble plaire aux lecteurs. Quand on a 90 piges, on ne va plus s‘emmerder, et puis la retraite, tout ce temps libre, ça laisse du temps pour cogiter (ruminer ? radoter ?) et faire le tour de pas mal de questions. Donc oui, tous les sujets peuvent y passer. No limit sur les sujets ou le ton que le gag peut prendre. Aucun calibrage. Ça me donne effectivement un grand sentiment de liberté. J’ajoute que c’est un plaisir de travailler avec l’équipe de Fluide.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

«#Lesmémés», tomes 1 et 2 de Sylvain Frécon. Fluide Glacial. 12,90 euros l’un.

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