Olivier Jouvray : « M’éloigner du récit catastrophe pour se faire peur »

Suite à une crise pétrolière, toute l’économie tombe en panne. Tandis que les magasins sont pillés, un petit groupe d’amis se serre les coudes pour continuer à vivre. Avec « Happy end », Olivier Jouvray préfère miser sur notre solidarité plutôt que d’imaginer le pire.

Dans « Happy end », la fin du monde se caractérise par une crise économique. Vous vouliez vous éloigner des habituels zombies pour proposer un récit le plus crédible possible ?
Olivier Jouvray.
Déjà les zombies, oui, j’en ai ras la casquette, on les a trop vus. Mais au-delà des zombies, j’ai voulu m’éloigner d’une vision caricaturale de l’être humain qui deviendrait automatiquement une créature cinglée et ultra-violente dès lors que la société dans laquelle il vit s’effondre. Dans la réalité, les preuves de notre capacité à l’entraide et à la solidarité lors des catastrophes est largement documentée. Beaucoup de récits catastrophe sont des récits pour se faire peur, pour envisager le pire, pour se laisser aller à des fantasmes. Moi ce qui m’importait, c’était d’imaginer au plus près ce qui pourrait se passer de manière assez vraisemblable.

Vos personnages craignent sans cesse des ennuis qui n’arrivent (pour le moment) jamais. Cette vision presque optimiste de la fin du monde est très originale…
O.J.
Des ennuis, ils vont en avoir, mais pas forcément ceux qu’on imagine. Mes personnages sont des privilégiés, il faut en avoir conscience. Ils ont pu réagir vite en ayant les moyens de se mettre à l’abri, avec des réserves de nourriture, un accès à l’eau. C’est presque du luxe par rapport à beaucoup de leurs contemporains. Donc ce n’est pas une vision optimiste, c’est une vision limitée à la petite bulle que ces gens sont en train de se construire. Leur souci, c’est qu’ils n’ont pas encore conscience de ce qu’ils vont devoir réapprendre pour être autonomes comme ils l’envisagent. Leur plus gros souci encore, c’est leur peur des autres humains. C’est la peur des autres qui rend idiot et qui nous amène à prendre des décisions stupides.

Vous prenez votre temps pour bien développer vos personnages. C’était primordial pour ce projet ?
O.J.
Ça devrait être primordial pour tout scénario. Chaque personnage est un être vivant avec un historique, un caractère, des désirs, des objectifs,… C’est ce qui fait la richesse d’une histoire. Une bonne partie des personnages de cette petite communauté est d’ailleurs jouée par des copines et des copains. Fred, Cécile, Ugo, Jérôme et Emy existent pour de vrai. Les autres sont inspirés de plusieurs personnes que j’ai connues. Des proches, des rencontres, des archétypes. Je dois leur donner une vraie consistance pour qu’ils jouent bien leur rôle et rendre le récit vraisemblable.

Est-ce que cela annonce une série longue ?
O.J.
L’avenir le dira. Si la fin du monde arrive vite ou pas 😉

Le personnage le plus clairvoyant sur cette crise est une adolescente que personne ne prend au sérieux. On pense à la militante écologiste Greta Thunberg qui n’est pas toujours écoutée. Est-ce qu’elle vous a inspiré pour ce personnage de Mollie ?
O.J.
Je ne me suis pas inspirée de Greta Thunberg mais j’aurais pu. J’ai effectivement voulu que le personnage qui porte la parole éclairée soit celle qu’on écoute le moins. Mollie est bien renseignée mais prisonnière de sa condition d’adolescente. Elle ne peut pas quitter sa famille pour aller faire sa vie ailleurs, elle n’a pas la légitimité pour être prise au sérieux, elle n’a pas toujours les bons mots pour s’exprimer, elle n’a pas la vérité sur tout et reste une jeune fille un peu naïve aussi. C’est plein de frustrations et de contradictions. Elle incarne un peu ce que vivent bon nombre de jeunes militants et militantes aujourd’hui.

Vos personnages se regroupent en communauté. Est-ce la clé pour survivre ?
O.J.
Nous humains, quand on est seuls, on est généralement assez cons. C’est uniquement quand on s’associe à d’autres qu’on peut se montrer intelligent et compétents. Sauf si c’est la peur qui rassemble le groupe. Là, ça peut tourner à la catastrophe. Le terme communauté ne veut pas dire grand chose et a souvent été utilisé à toutes les sauces. Si une communauté impose à ses membres de s’habiller pareil, de penser pareil, de vivre pareil, de tout normaliser, alors ça peut vite devenir une secte. Si la communauté fonctionne sur des principes de respect de la différence, de l’intimité, de la solidarité, du partage, ça peut être très chouette. Quant à savoir quelle est la clé pour survivre, je n’en ai aucune idée. Mais ce qui est primordial, c’est de vivre, pas de survivre.

Vous avez écrit cette histoire avant la pandémie de Covid-19. Est-ce que la crise actuelle a confirmé vos hypothèses ?
O.J.
Pas toutes non. La folie autour du papier toilette je ne l’avais pas vu venir. Mais sinon oui, notamment sur les élans de solidarité et d’entraide. On a pu en constater beaucoup. Oui aussi sur les comportements des riches privilégiés qui voulaient foutre le camp sur une île déserte, ou se barricader sur leur yacht. Finalement, ça nous éclaire pas mal sur les clés pour survivre. Il vaut mieux être du côté des pauvres en cas de catastrophe. Chez les riches, c’est chacun pour sa gueule.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Happy end » par Benjamin Jurdic et Olivier Jouvray. Le Lombard. 14,75 euros.

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