Olivier Andrieu: « Iznogoud est un personnage atypique »
Après avoir écrit plusieurs ouvrages sur René Goscinny, Olivier Andrieu lui succède en scénarisant trois histoires du nouvel album d’ »Iznogoud », « Moi, calife… ».
C’est votre première participation à un album de bande dessinée. Comment avez-vous eu l’opportunité de scénariser trois histoires de ce nouvel album?
Olivier Andrieu (© Photo Catherine Theulin, Contrast photography). En fait, je « navigue » dans l’univers de René Goscinny et d’Albert Uderzo depuis plus de 20 ans, puisque j’avais écrit (en collaboration avec Albert Uderzo) le livre des 40 ans d’Astérix en 1999, puis trois autres ouvrages sur l’univers Goscinny/Uderzo, dont deux livres sur l’œuvre de René Goscinny, en collaboration avec Anne, sa fille, et Aymar du Chatenet, son mari. Pour écrire ces livres, j’ai eu l’immense privilège d’avoir accès aux archives du scénariste: notes de travail, tapuscrits, synopsis, scénarios, etc. Et cela m’a fait me frotter à la méthodologie de travail du « Maître »! Finalement, au bout d’un moment, je me suis dit que la meilleure façon de m’imprégner de son œuvre était de tester par moi-même cette méthodologie en tentant d’écrire des petites histoires, tout en suivant cette trame. « Iznogoud » s’y prêtait bien, avec des histoires courtes, sur huit pages en moyenne. Je me suis pris au jeu et j’ai proposé ces histoires à Anne et Aymar, qui dirigent Imav, la société qui édite « Iznogoud ».
Qu’est-ce qui vous plait chez René Goscinny?
O.A. Je pense que la plupart des scénaristes de BD doivent beaucoup à Goscinny puisqu’il a clairement donné ses lettres de noblesse à ce métier. Il ne faut pas oublier qu’avant lui, le scénariste n’était parfois même pas nommé. C’était au dessinateur de se débrouiller pour livrer un album ou une histoire ou trouver quelqu’un qui l’aide et le payer de sa poche. Goscinny et Uderzo ont également œuvré pour que les scénaristes soient rémunérés de façon plus égale… Leur empreinte dans le monde de la BD est énorme !
Et personnellement, j’admire la prodigalité de Goscinny et le sens de la rigueur qu’il avait pour produire un nombre incroyable d’histoires, toutes drôles et efficaces. Je pense que c’était quelqu’un qui faisait très sérieusement son métier sans se prendre au sérieux, et c’est quelque chose qui me touche et que j’apprécie. Ça se ressent énormément en relisant ses synopsis et scénarios originaux. Tout est réalisé de façon extrêmement précise, mais souvent avec une touche d’humour et de décalage pour le dessinateur à qui il s’adressait. Lire un scénario de Goscinny, c’est souvent aussi amusant que de lire la bande dessinée qui en résulte derrière, avec bien sûr le talent du dessinateur en plus.
Comment est né Iznogoud?
O.A. René Goscinny a créé ou a travaillé sur de très nombreux personnages, mais quatre sont au-dessus du lot en termes de célébrité et de notoriété : Astérix, Lucky Luke, le Petit Nicolas et Iznogoud. Ce dernier a été publié pour la première fois en janvier 1962 dans le magazine Record, à une époque où Astérix connaissait déjà un fort succès. Mais Goscinny arrivait à mener de front plusieurs séries avec une aisance remarquable ! D’ailleurs, pour la petite histoire, il avait dit à Jean Tabary (le dessinateur co-créateur d' »Iznogoud », qui a bien sûr fortement contribué au succès de la série) qu’il allait lui envoyer une histoire de détective à New York. Quelle n’a pas été la surprise de Tabary en voyant arriver un vizir et un calife des 1001 nuits ! Des personnages qui, d’ailleurs, avaient vu le jour dans une histoire du petit Nicolas. Comme quoi, tout était lié dans l’esprit du scénariste… Iznogoud est donc né d’une idée qui a sans doute traversé l’esprit de René Goscinny au dernier moment, et qui s’est certainement dit que le capital humoristique d’un vizir qui veut être calife à la place du calife était fort. On peut penser qu’il n’avait pas tort (sourire)…
Avez-vous une tendresse particulière pour cette série?
O.A. Oui, parce qu’elle est née presque en même temps que moi (je suis de 1961) et que j’ai grandi avec Iznogoud, comme avec Astérix et bien d’autres, bien sûr. Iznogoud est un personnage atypique, foncièrement méchant (ce qui est assez exceptionnel en termes de BD) mais finalement attendrissant dans sa volonté toujours vaine de renverser le calife de son trône. On retrouve la structure d’un Tom et Jerry ou d’un Titi et Gros Minet dans « Iznogoud », avec ce running-gag incessant dans lequel, et c’est l’une des difficultés de ses scénarios, il faut constamment innover pour être original. Bref, Iznogoud, c’est un personnage qu’on retrouve en nous très souvent, et le fait qu’il échoue à chaque fois nous montre que la méchanceté n’est pas obligatoirement le bon chemin à suivre. Ça me plait…
Ce n’est pas trop intimidant de succéder à Goscinny?
O.A. Je crois avant tout que si on commence à réfléchir au fait qu’on succède à Goscinny, ça vous bloque et on ne fait plus rien (sourire)… J’essaie au maximum de ne pas penser à ça, tout en gardant un énorme respect pour les créateurs originaux. Anne Goscinny m’a beaucoup aidé aussi, puisqu’on parle beaucoup ensemble des synopsis et scénarios que je lui propose. Elle possède l' »œil absolu » en ce qui concerne l’œuvre de son père et elle me guide avec bienveillance lorsque je sors parfois un peu du cadre. Cela m’aide aussi beaucoup à prendre confiance en moi. J’ai terminé les scénarios du prochain album (qui paraîtra en 2022) et je ressens déjà mes progrès. Les discussions avec Elric, le nouveau dessinateur, sont également très constructives. C’est clairement un travail d’équipe, où chacun à son mot à dire à chaque étape du processus. Et ça se passe vraiment très bien.
Est-ce que vous avez beaucoup retravaillé vos histoires pour en être le plus digne possible?
O.A. Oui, c’est énormément de travail, mais je n’imagine pas m’en plaindre un seul instant ! C’est avant tout un immense plaisir, il faut bien le dire. Je me réjouis à chaque instant d’imaginer toutes les turpitudes que connait l’ignoble vizir pour arriver – en vain bien sûr – à ses fins.
Est-ce que vous avez cherché à faire du Goscinny? Quel serait le cahier des charges?
O.A. On ne peut pas faire du Goscinny, il faut en être conscient. Il n’y a pas de cahier des charges, surtout pas, d’ailleurs. Je n’ai pas non plus voulu le copier. C’est une douce et complexe alchimie, composée de travail, de respect, de réflexion… Il y a bien des paramètres dans l’équation. J’essaie au maximum d’imaginer des histoires qui me font marrer, puisque je suis mon premier public (pas le plus facile à convaincre toutefois, avec l’expérience). Après, on voit… Mais parfois, lorsque je trouve un calembour, une situation, un gag, un nom de personnage amusant, et que ça me fait sourire, j’ai la faiblesse de penser que René Goscinny est là, dans mon dos, pas loin, qu’il me regarde avec son sourire malicieux et ses petites fossettes, qu’il tapote mon épaule de sa main, et qu’il me dit : « c’est bien, petit, continue de travailler, tu es sur le bon chemin… » A ce moment-là, un peu stupidement peut-être, je me sens heureux et ça me fait un bien fou. Parce qu’en plus, dans mes rêves, René Goscinny, il me tutoie, vous vous rendez compte (rires) ?
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)
« Iznogoud, Tome 31. Moi, calife… » par Olivier Andrieu, Jul, Laurent Vassilian, Elric, Nicolas Tabary. Imav Editions. 11,90 euros.