Matias Istolainen: « Une réflexion sur l’identité »

Quand quelques cosplayers se trouvent confrontés à une organisation terroriste en plein Comic-Con, ils adoptent aussi l’assurance de leurs héros fétiches et se lancent dans une bataille explosive. Avec « Cosplay », Matias Istolainen livre un réjouissant récit aux multiples références geek.

Le dossier de presse explique que vous avez eu l’idée de « Cosplay » dans un Comic-Con en tombant nez à nez avec un Wolverine qui ressemblait plus à Dick Rivers qu’à Hugh Jackman. Quelle était l’idée de départ à ce moment-là?
Matias Istolainen.
Effectivement, c’est en me rendant dans une convention que l’idée de cette BD m’est venue. Je me souviens en effet avoir croisé un Wolverine qui m’avait bien fait rire, plus proche du rocker français que de la star hollywoodienne ! Le décalage est parfois amusant, quand on regarde les cosplayers, entre le personnage imité et le résultat. Mais je dois dire que la plupart du temps les costumes sont bluffants et le travail des cosplayers vraiment réussi. En tout cas, je me suis demandé : que se passerait-il si ces cosplayers étaient confrontés à une menace réelle ? Est-ce que certains d’entre eux se sentiraient investis d’une mission, car costumés en super-héros ?

Devenir un super-héros est le rêve ultime de beaucoup d’enfants. Cela a été votre cas?
M.I.
Bien sûr ! D’ailleurs je me souviens très bien du jour où j’ai compris que je n’aurai jamais de super-pouvoirs, que tout ce que contenaient mes « Strange » était scientifiquement impossible. Ça a été un coup dur. Plus tard, je me souviens aussi m’être posé la fameuse « question-Batman » : comment se fait-il qu’un mec blindé et bien baraqué ne se soit pas encore lancé dans l’aventure ? Quand j’ai vu apparaître, dans le sillage du succès de « Kick Ass », quelques hurluberlus tentant de faire régner la justice dans Paris avec une cape sur le dos… j’ai compris pourquoi. Les super-héros qui sauvent le monde, cela relève de l’imaginaire et c’est tant mieux. Mais la fascination qu’ils exercent sur nous est très intéressante. Je trouve qu’elle dit quelque chose de nos sociétés, comme si nous avions besoin de l’espoir qu’ils incarnent, du souffle épique qu’ils charrient.

Vous avez déjà pratiqué le cosplay?
M.I.
Comme beaucoup, j’aimais bien me déguiser quand j’étais enfant, mais ça s’est arrêté là. Il y a bien eu quelques soirées costumées depuis, mais rien de très élaboré… Ce que j’ai découvert sur les cosplayers, d’ailleurs, c’est qu’ils détestaient qu’on leur parle de « déguisement » et qu’ils étaient très doués en travaux manuels. La plupart confectionnent leurs costumes eux-mêmes. Ils cherchent des patrons sur Internet, sélectionnent avec soin leurs matériaux, en parlent beaucoup entre eux dans des forums spécialisés,… Leurs costumes demandent des mois et des mois d’efforts, un budget conséquent aussi. C’est aussi ça le cosplay, la passion du bricolage.

« Cosplay » montre bien comment un costume peut changer une personnalité…
M.I.
Complètement. Là aussi, en observant quelques cosplayers j’ai pu constater qu’ils avaient une certaine assurance quand ils incarnaient leurs personnages, notamment sur scène lors des concours, et qu’ils pouvaient à l’inverse se montrer très timides en privé, quand ils enlèvent le masque. Pour certains cosplayers il s’agit clairement d’une manière de s’extérioriser. Leur personnage les protège, en quelque sorte. Le cosplay conduit forcément à une réflexion sur l’identité. Pourquoi prendre les traits d’un personnage de la culture geek ? Et pourquoi ce personnage plutôt qu’un autre ?

Est-ce qu’il a été difficile de trouver un dessinateur ou en l’occurrence une dessinatrice qui avait toutes les références geek?
M.I.
Le choix s’est très vite porté sur Maribel Conejero dont nous avons, la maison d’édition et moi, tout de suite apprécié le travail. Mais nous l’avons choisie pour son trait, pas pour sa connaissance de la culture geek. Il s’est avéré par la suite qu’elle maîtrisait parfaitement les références que j’avais convoquées dans le scénario. De son côté, elle a d’ailleurs ajouté un peu partout dans l’album des références nouvelles ; références que j’ai souvent découvertes, Maribel étant plus jeune que moi et plus calée en ce qui concerne l’univers du manga.

Vous vouliez également un trait plus proche du comics que du franco-belge pour vous adapter au thème du livre?
M.I.
Oui, c’était un peu l’idée. Nous cherchions quelque chose de moderne, entre comics et manga. Nous avons fait quelques tests avec divers dessinateurs et comme je l’ai dit, le choix de Maribel s’est très vite imposé. Son trait convenait très bien au projet. Quand elle a commencé à faire exister les personnages, ils sont réellement apparus tels que je les avais imaginés. C’était bluffant.

Il y a énormément de clins d’œil dans le livre. C’est très geek…
M.I.
Oui c’est assez geek, effectivement, ce côté encyclopédique. J’ai voulu faire transparaître cette dimension tout particulièrement à travers le personnage d’Émile le Jedi. En bon fan de « Star Wars », il est très tatillon dès qu’il s’agit de sa passion et capable de répondre à toutes les questions sur le sujet. Les geeks ont souvent ce côté « incollable ». Personnellement, je me suis bien amusé à disséminer toutes ces références. Le tout forme un peu mon panthéon personnel, de Batman à John Wick en passant par le Capitaine Flam. L’intrigue se déroulant majoritairement dans un Comic-Con, il était de toute façon obligatoire qu’il y ait une explosion de références, le projet en lui-même appelait cela.

Parmi toutes les références de « Cosplay », la plus proche aussi bien pour l’histoire que pour l’humour est « Kick Ass ». Cela a été une grande influence?
M.I.
C’est surtout vrai pour le personnage de Nicolas Formica, le « Défenseur de France ». C’est le seul de la bande à avoir créé son propre super-héros. L’idée était aussi de proposer à travers lui un super-héros français, volontairement un peu décalé, voire ringard. Il faut dire que nous avons du mal, en France, à faire émerger une figure super-héroïque populaire… mis à part Super-Dupond, bien sûr. J’avais envie de jouer avec cette difficulté.

Dans les notes de l’album, vous remerciez Mathilde d’avoir écouté vos problèmes de geek tout au long de l’aventure…
M.I.
Rien de bien grave. Il se trouve que j’ai écrit une grande partie du scénario pendant le premier confinement, et j’ai donc sollicité très régulièrement celle qui partage ma vie à propos du projet. Comme elle n’est pas forcément geek dans l’âme, je tenais à saluer son écoute !

Est-ce qu’une suite est envisageable?
M.I.
Cela va dépendre des lecteurs ! En tout cas j’aimerais beaucoup retrouver ces personnages et les plonger dans une autre aventure super-héroïque. Je me suis attaché à eux et ce serait un plaisir de les approfondir, de les faire évoluer au collège, dans leur famille… J’ai d’ailleurs laissé une porte ouverte, à la fin de l’album : on y trouve une « planche cachée » qui dévoile un dernier rebondissement et laisse clairement la possibilité d’une suite.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Cosplay » par Matias Istolainen et Maribel Conejero. Le Lombard. 12,45 euros.

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