Kris : «Un hommage à ceux qui aiment le foot»

Après avoir raconté George Best ou les fellaghas du ballon rond, Kris aborde cette fois le football avec beaucoup plus de légèreté. « Tous ensemble » est un récit drôle et déjanté où un supporter inconditionnel du Stade Brestois est prêt à tout pour sauver son club de la banqueroute. C’est aussi une comédie sociale qui tacle gentiment le football business.


On devine facilement que vous supportez le Stade Brestois. Quels rapports entretenez-vous avec le club de votre ville ? Vous allez au stade?
Kris.
Je suis né à Brest, j’ai vécu de mes 4 à mes 23 ans à 300 mètres du stade Francis-Le-Blé (le stade dans lequel évolue le Stade Brestois, NDLR), toutes les rues autour sont celles où habitaient mes amis, où il y avait mon collège, mon lycée… Bref, c’est mon quartier. Je suis allé au stade pour la première fois à l’âge de sept ans en 1979, première année où Brest évoluait en première division. Puis, ayant commencé le football au sein d’un club dudit quartier, j’ai été repéré à l’âge de 11 ans par le Stade Brestois et j’ai rejoint leurs équipes de jeunes. Je n’y ai pas percé au final et je suis revenu plus tard jouer dans mon club formateur mais ça reste une expérience marquante. Et, de là, en tant que spectateur, je n’ai quasiment plus raté un match durant des années. J’ai même été ramasseur de balles comme mon héros ! Puis, le club, qui s’appelait alors le Brest Armorique, a déposé le bilan en 1991 et tout s’est arrêté ou presque. Quelques années plus tard, le club, devenu Stade Brestois 29, est remonté en CFA (équivalent de la 4ème division) et j’ai recommencé à y aller.
Depuis, malgré les obligations professionnelles qui m’empêchent souvent d’être présent le week-end, j’y vais chaque fois que c’est possible. Je ne rate plus un match grâce aux applis pour regarder la TV sur mon téléphone. Mon fils a suivi à peu près le même parcours que moi, allant jusqu’à vivre une remontée en Ligue 1 et envahir le terrain le soir de ladite montée à 18 ans, au même âge que moi, trente ans auparavant (sourire). Bref, c’est une longue histoire d’amour et de transmission depuis 45 ans.

Contrairement à vos précédents livres qui parlaient de football, « Tous ensemble » est une vraie comédie. Vous aviez envie de parler de ballon avec plus de légèreté?
K.
Oui, vraiment. Je n’avais aucune autre ambition sur ce récit que de me faire plaisir, de tenter de faire plaisir à toutes celles et ceux qui aiment également le foot et leur ville de province, même et surtout contre toute logique et objectivité ! Et puis je voulais rendre un hommage à des types qui sont là, contre vents et marées et sous la flotte, même un lundi soir de match nul 0-0 contre Châteauroux. A la douce folie qui les anime, même quand ce sont des chômeurs en fin de droits qui viennent voir des millionnaires en crampons. Qu’est-ce qui les/nous pousse à cela, au fond ? C’est quoi cet amour inaltérable pour ce jeu ?
Je suis quelqu’un qui, dans tout le reste de sa vie et de ses actes, est logique, réfléchi, pragmatique, assez révolté par la moindre injustice et qui, instinctivement, se méfie de tout ce qui manipule un peu trop d’argent. Mais dès qu’on parle de football, il ne reste rien de tous ces traits de personnalité… Alors depuis le temps que ça m’interrogeait, il fallait que j’en parle. Mais de la même façon que je le vivais : au premier degré, sans recul et avec le même grain de folie totalement gratuit. Récemment, lors d’une soirée éditoriale, l’une des commerciales de Delcourt, mon éditeur, a décrit l’album en disant que c’était « un récit totalement gratuit et que, parfois, ça faisait du bien ». Bon, en vrai, la consultation vous coûtera quand même 20 balles mais c’était un vrai compliment que je partage entièrement !

«Tous ensemble » est aussi une comédie sociale. C’était même un enjeu important dans cette histoire?
K.
Ça aurait dû l’être un peu plus. Je voulais effectivement aborder plus en profondeur ce paradoxe que j’évoquais plus haut, de ces smicards ou chômeurs qui se saignent chaque semaine pour aller supporter des types qui gagnent parfois en une semaine ce qu’eux ont pour vivre une année (quand ce n’est pas bien plus, encore). Et, en poussant le bouchon, qu’un de ces personnages soit prêt à piquer le fric de ces chômeurs pour que ces millionnaires puissent continuer à jouer. C’est une réalité du football d’aujourd’hui et c’est évidemment l’une des plus problématiques. Mais le récit était prévu en 120 planches environ au départ et, ayant déjà mis trop de temps à l’écrire, j’ai dû le réduire d’une bonne vingtaine de pages, m’empêchant au final d’aller vraiment au bout de cette ligne dramaturgique, représentée par mon trio de braqueurs ratés et leur soutien involontaire en la personne de Suzie, la libraire ambulante. Bon, la dimension sociale reste présente quand même grâce à eux mais disons que je n’ai pas tout dit sur ce sujet ! Alors, je serai peut-être obligé d’y revenir dans une autre histoire…

On ressent beaucoup d’affection pour Kévin, le héros simplet de votre histoire. Sa naïveté vous touche?
K.
Bien sûr. Mille fois plus que tous ces imbéciles qui se pavanent autour ou dans un stade de foot, simplement parce qu’une responsabilité minime, leur portefeuille ou leurs relations leur ont permis d’être là, ne vivant un tel match qu’à l’aune de ce que cela leur apporte en matière de « réseautage »… Tous les Kevin du monde devraient être en tribune d’honneur à chaque match et on devrait presque les salarier. Sans eux, pas de soutien, pas d’ambiance, pas de mémoire, pas de club. Ils sont l’âme du football, d’une tribune, d’une équipe. Ils sont la sincérité et la beauté en action. Sans eux, le jeu football aurait disparu depuis longtemps et ne resterait plus qu’un spectacle tournant à vide, creux et factice.

Le titre « Tous ensemble » fait référence à la notion de collectif. C’est quelque chose d’important pour vous en général mais aussi dans la réalisation d’une bande dessinée?
K.
Oui, c’est même quelque chose de « constitutif » de ce que je suis et de mon travail. Un scénariste de BD ne pourra jamais travailler seul. Son travail n’existe pas, ou du moins il est inutile et très difficile à juger de sa qualité, tant qu’il n’est pas traduit en dessins par au moins un autre co-auteur, parfois plusieurs. De plus, mes rapports avec mes éditeurs, et avec toutes les personnes qui sont amenées à un moment ou un autre à se pencher sur mon futur livre, ont toujours été très importants, personne n’est jamais un simple « passe-plat » dans ce secteur.
Bref, souvent, on me demande si je n’aurais pas aimé être également dessinateur et, par là-même, « auteur complet ». Mais en vrai, mon caractère ne m‘a jamais porté vers l’individualisme et je me suis toujours épanoui au sein de collectifs. C’est aussi ce qui m’a poussé à faire partie des aventures syndicales comme la constitution du SNAC-BD, ou artistiques comme la création de « La Revue Dessinée » dont on fête les dix ans, cette année. Et dans ma vie personnelle, j’ai toujours fait partie d’associations diverses, culturelles ou citoyennes. Même lorsque je suis passé du football au tennis de table, j’étais bien meilleur en championnat par équipes (j’ai longtemps évolué en Nationale) qu’en tournois individuels !

Le dessinateur Emmanuel Michalak n’est pas breton. Vous l’avez accompagné pour lui faire découvrir votre ville?
K.
Oui, bien sûr. J’ai beaucoup raconté Brest à Manu, et il est également venu en repérages plusieurs jours, visitant tous les lieux de la future bande dessinée. J’ai insisté sur les atmosphères particulières. On a par exemple pris un brouillard à couper au couteau au cœur des Montages Noires et des Monts d’Arrée, où se situe l’une des séquences de l’album, on ne voyait rien à trois mètres et on s’attendait à voir surgir l’Ankou à tous moments ! Pas génial pour des repérages géographiques précis mais parfait pour l’ambiance. Pour les personnages, j’ai fait rencontrer à Emmanuel quelques personnalités locales hautes en couleurs, depuis le traditionnel patron de pub jusqu’à la dame punk défenseure du patrimoine, en passant par le supporter lambda. Je crois qu’il a bien aimé son séjour (sourire).

Son trait semi-réaliste se prêtait parfaitement au ton de cette histoire?
K.
Oui, exactement. Il me fallait à la fois un dessin très précis pour les lieux mais aussi une capacité à traduire la folie et le mouvement permanent, presque tourbillonnant, du récit. Sans compter une galerie de « gueules » digne d’un film d’Audiard et proches de la caricature ! Parmi les meilleurs représentants de ces courants de la BD, il y a évidemment Sylvain Vallée ou Paul Cauuet. Et je crois sincèrement qu’Emmanuel Michalak, moins connu qu’eux (pour le moment), fait partie de la même crème de ce style-là. Le récit lui doit énormément.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Tous ensemble » par Emmanuel Michalak et Kris. Delcourt. 19,99 euros.

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