Julien Hervieux : « L’Histoire est une mine gigantesque »
A l’occasion de la sortie du toujours aussi excellent troisième tome du « Petit théâtre des opérations », Julien Hervieux a sélectionné les histoires les plus drôles, méconnues, absurdes ou invraisemblables de cette hilarante et instructive série historique. Une interview qui permet également d’en apprendre davantage sur la réalisation de ces histoires courtes improbables et pourtant véridiques.
Quelle est l’histoire que vous trouvez la plus drôle? Comment faire rire avec des histoires parfois tragiques?
Julien Hervieux. Je dirais que les mésaventures du destroyer USS William D. Porter (dans le tome 3) sont quand même épatantes. Parvenir à autant de bourdes, c’est assez fabuleux. J’avoue qu’elle me fait bien rire et que c’est souvent une de celles que l’on me demande le plus de raconter.
Maintenant, peut-on rire du tragique? L’idée du « Petit Théâtre », c’est de rire de l’absurde et de l’improbable. Sans pour autant manquer de respect aux morts, bien au contraire ! Si l’on rit des aventures d’Albert Roche par exemple, c’est pour mieux évoquer sa mémoire. Et c’est d’ailleurs notre grande fierté en dédicace, quand un lecteur nous dit “Moi, je n’aime pas l’histoire, mais ça, j’aime bien et j’apprends des choses” : cela signifie qu’avec le rire, on a amené quelqu’un à l’histoire. Et ça, il n’y a guère de plus beau compliment.
Quelle est l’histoire la plus méconnue? Comment trouvez-vous toutes ces histoires? Est-ce qu’il y en a encore beaucoup en stock?
J.H. L’histoire la plus méconnue ? Ça dépend pour qui ! Mais je crois que parmi toutes celles abordées, le Jules Verne (dans le tome 3 là aussi), le premier avion à avoir bombardé Berlin en 1940, est l’une des moins connues. Et pourtant, elle est française!
Et comment trouve-t-on une histoire, justement ? Eh bien, tout d’abord, j’ai la terrible habitude d’avoir toujours le nez plongé dans des biographies, livres d’histoire et autres. Et au détour d’une page, il y a parfois une anecdote à creuser. Ou bien est-ce un lecteur, voire l’armée (mais oui !), qui nous propose un sujet. De là, votre serviteur n’a plus qu’à aller farfouiller pour voir s’il y a quelque chose à faire, si l’on a des documents prouvant que c’est bien arrivé, bref, un peu de travail d’historien avant de passer à la phase bd.
Quant à savoir s’il nous en reste… oh oui ! Sur les deux Guerres mondiales et bien avant, ainsi qu’après ! L’Histoire est une mine gigantesque, et à chaque fois que je pense avoir fait le tour des anecdotes les plus improbables, il y a toujours une nouvelle pépite qui apparaît. Franchement ? Faire cette bd est passionnant. Et touchant, parce que l’on découvre vraiment des histoires de personnages absolument extraordinaires, et pourtant tombés dans l’oubli.
Quelle est l’histoire qui a permis à monsieur le chien d’offrir ses plus belles planches?
J.H. Si vous demandez à monsieur le chien, qui est un type tellement humble qu’il insiste pour ne pas avoir de majuscules à son nom (d’ailleurs regardez comme il inscrit son nom au début de chaque histoire, vous remarquerez un schéma), ce vil dessinateur vous répondra d’un ton badin que « la bd aurait marché avec un autre dessinateur ». Mais il ment. Le chien a plusieurs grandes qualités qui en font LE dessinateur idéal pour la série. Il aime l’histoire, il aime cette série, et mieux encore, c’est un dessinateur qui a à la fois une maîtrise du style et des dialogues. Ce n’est pas rare qu’il me propose un petit changement, et c’est à chaque fois une excellente idée. Et non seulement son dessin est parfait pour être tantôt drôle, tantôt sérieux, mais il sait ajouter des détails dans les cases que parfois, je ne remarque moi-même que tardivement. À chaque relecture, il y a toujours un truc de plus à voir. C’est ça, l’effet môssieur le chon.
Quant à l’histoire qui a permis au chien de se déchaîner : Dixmude (dans le tome 1). Pourquoi ? Mais parce que c’est notre première histoire. Et que c’est là que le chien a dû gérer son scénariste trop bavard pour la première fois, pour créer, avec brio… l’histoire qu’on nous évoque le plus aujourd’hui quand on parle de l’album. Un tour de force.
Quelle est l’histoire que vous trouvez la plus absurde? Est-ce que l’armée a essayé d’en cacher certaines?
J.H. Je vous dirais bien l’utilisation de chauve-souris piégées par les Etats-Unis durant la Seconde Guerre mondiale (les bat bombs, dans le tome 1). Non parce que rien que l’idée… c’est quand même assez diabolique et foireux à la fois.
Quant à l’armée française, bien au contraire, elle est ravie d’ouvrir ses archives, et j’en profite pour la remercier ! De manière générale, le temps a passé et les boîtes de documents se sont ouvertes un peu partout dans le monde, et parler des deux Guerres mondiales est plus simple que jamais, surtout à l’heure d’internet où l’on peut recevoir des documents scannés depuis l’autre bout du monde.
Est-ce que les armées ont tenté de cacher des bourdes ? Oh que oui ! Toutes les armées du monde! Le plus impressionnant cependant reste les anecdotes ayant trait à l’URSS : les archives ont parlé plus tardivement… on ne salit pas le parti impunément, camarade!
Quelle est l’histoire que vous trouvez la plus invraisemblable? Beaucoup le sont (vous êtes d’ailleurs souvent obligé de rappeler que c’est véridique), est-ce la clé de votre immense succès?
J.H. Immense succès ? « Le Petit Théâtre » est une belle réussite, mais un certain « Astérix » nous dépasse encore, me dit-on. Plus sérieusement, la clé du succès, ce sont évidemment nos lecteurs qui nous font l’honneur de nous lire et d’avoir le goût de la découverte, de l’histoire et du rire. Car pour le reste, les vrais acteurs de la réussite de cet humble projet, ce sont les hommes et les femmes dont on parle. Eux ont écrit l’histoire : je ne fais que la découper en cases, avant de laisser le chien dessiner le tout. Merci à eux, donc.
Quant à l’histoire la plus invraisemblable… Je pense que les cavaliers d’Uskub (dans le tome 2) valent leur pesant de cacahuète. Une charge de cavalerie de quelques milliers d’hommes, à la fin de la Première Guerre mondiale, alors que tout le monde pense l’arme obsolète, qui ratiboise tout sur son passage, fait tomber armées, villes et pays en quelques semaines, et précipite la fin de la guerre. C’est quand même aussi incroyable que méconnu. Et puisque cette interview touche à sa fin, je leur laisse le dernier mot : ya!
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)
«Le Petit théâtre des opérations – tome 3» par Julien Hervieux et monsieur le chien. Fluide Glacial. 15,90 euros.