Jérôme Félix: « Lupin est une ode à la liberté»

Avec «Le dernier secret de Nostradamus», son quatrième album d’Arsène Lupin chez Bamboo, le scénariste Jérôme Félix invente une aventure inédite et palpitante du gentleman cambrioleur. Un défi périlleux totalement réussi où créativité, respect du mythe et modernité s’entrelacent avec brio.

C’est votre quatrième album des aventures d’Arsène Lupin chez Bamboo. Qu’est-ce qui vous plaît dans ce personnage de gentleman cambrioleur?
Jérôme Félix. J’ai toujours adoré les personnages de cambrioleurs qui doivent faire preuve d’ingéniosité pour réussir leurs coups. J’en avais d’ailleurs déjà mis pas mal en scène avant Lupin. J’aime également beaucoup le personnage de Lupin qui peut être autant détestablement arrogant que fascinant. Mais surtout, Lupin est pour moi une ode à la liberté. En ce moment où les politiques et les GAFAs veulent de plus en plus contrôler nos vies, ça ne fait pas de mal de proposer un personnage qui fait tout pour être le plus libre possible.

Après avoir librement adapté des récits de Maurice Leblanc, vous proposez cette fois une histoire inédite…
J.F. La première raison, c’est une interview de Jean Van Hamme où il explique s’inquiéter du fait que la BD propose de moins en moins d’histoires inventées et de plus en plus d’adaptations. Je trouve qu’il a raison et c’est pourquoi j’alternerai désormais entre adaptations et récits apocryphes. Ensuite, il y avait l’envie du défi. Étais-je capable de me mesurer au talent de Maurice Leblanc…

Quel est le cahier des charges à respecter quand on invente une nouvelle histoire de Lupin?
J.F. Le plus important est de ne pas dénaturer le personnage, qui est assez complexe. C’est un libertaire qui choisit ses causes et qui veut être reconnu pour son talent. Mais, c’est aussi un personnage blessé par le destin. On doit donc passer de scènes flamboyantes à des moments plus intimes et plus tristes dans une même aventure. L’important est vraiment de montrer que Lupin refuse que le destin décide pour lui. Il veut toujours être le maître de sa vie.
Ensuite il y a le ton des récits de Maurice Leblanc qu’il faut là aussi tenter de garder. Le risque en faisant ça est de paraître daté. Quoi garder ? Quoi moderniser ? C’est une question que je me pose à chaque scène et notamment quand je dois animer des personnages féminins. Un bon récit de Lupin doit aussi proposer des moments d’humour et des punchlines. Maurice Leblanc était incroyablement doué pour créer des dialogues qui claquent et ce n’est pas toujours facile de marcher sur ses pas à ce niveau-là. Pour être sûr que je ne dénature pas l’univers créé par Maurice Leblanc, je fais relire chaque script par l’Association des Amis d’Arsène Lupin.

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L’histoire s’ouvre sur une surprenante trouvaille scénaristique puisqu’Arsène Lupin est appelé à remplacer Sherlock Holmes…
J.F. C’est une très vieille idée que j’avais eue en relisant l’aventure où Sherlock Holmes meurt. J’avais toujours trouvé trop facile son retour 3 ans plus tard. C’est là que j’avais pensé que quelqu’un aurait pu prendre sa place. Et le seul qui en était capable pour moi, c’était Lupin ! Mais les dates ne convenaient pas. Lupin est très jeune quand Holmes meurt dans les chutes du Reichenbach. J’ai repris cette idée pour Lupin contre Holmes où je voulais absolument éviter de conclure par un match nul. Ce duel de géant devait obligatoirement se terminer par un twist à la hauteur de ces deux légendes. Je dois dire que les lecteurs ont adoré notre fin on ne peut plus surprenante ! Alain et moi en sommes tellement fiers que nous avons demandé à Bamboo de la faire circuler dans le monde du cinéma où ils sont de plus en plus présents. Je pense qu’un studio de cinéma peut construire un film sur cette idée.

Avec cette fin, je voulais aussi montrer que notre série n’était pas qu’une simple et sage adaptation des textes de Maurice Leblanc. Alain et moi avons un plan à long terme pour nos Lupin qui vous proposeront d’autres surprises. Mais malheureusement pour nous, la critique BD n’a pas du tout été sensible à notre travail de modernisation du mythe Lupin. Pour les journalistes, nous restons de simples adaptateurs, ce qui m’a attristé. Mais, je ne m’avoue pas vaincu. Un de nos prochain Lupin proposera une autre idée aussi surprenante qui, je l’espère, ne passera pas aussi inaperçue que le remplacement d’Holmes par Lupin.

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Les femmes occupent une place centrale dans le récit, avec Irène Adler, mais aussi la fille d’Arsène Lupin. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’explorer cet aspect plus intime de la personnalité du gentleman cambrioleur?
J.F. La plus grande difficulté avec Arsène, c’est de lui trouver des adversaires à sa mesure. En fait, Alain et moi avons le même problème que les scénaristes de Superman. Pour chaque épisode, je réfléchis donc à qui lui faire affronter. Je recherche les personnages connus susceptibles d’être à sa hauteur et c’est comme ça que j’ai pensé à Irène Adler, l’un des rares personnages qui a réussi à vaincre le célèbre détective de Baker Street. Et comme Lupin est sensible aux dames, je me suis dit que c’était une bonne idée. Je dois dire que je me suis beaucoup amusé à écrire leurs joutes verbales, car Irène n’est pas du genre à se laisser impressionner par le charme de Lupin. Elle a du répondant ! Concernant Geneviève, la fille du Lupin, c’est un personnage qui prendra de l’importance dans les épisodes à venir. C’était aussi une manière évidente d’humaniser Arsène qui n’est pas, contrairement à Holmes, une simple machine à penser.

Reformer l’équipe avec le dessinateur Alain Janolle et le coloriste Walter était une évidence pour ce projet?
J.F. On ne change pas une équipe qui gagne et qui s’entend bien. Alain et moi, c’est pour la vie ! On pense même déjà aux coups qu’on ira boire au Paradis si on y est acceptés. Visuellement, « Le secret de Nostradamus » est assez différent du dyptique « Arsène Lupin contre Sherlock Holmes » qui avait dû être dessiné rapidement pour profiter de l’effet Netflix. Pour notre dernier album, Alain a quitté le dessin sur tablette pour revenir au papier. Ce dessin à l’ancienne lui permet d’obtenir des effets d’encrage infaisable en numérique. Comme je vous l’ai expliqué précédemment, nous avons été attristés par le peu d’intérêt qu’a suscité notre album auprès des critiques mais aussi des libraires spécialistes BD. Alain a donc décidé de passer beaucoup plus de temps sur notre dernier album. Il voulait vraiment proposer des pages de haut niveau capables de montrer aux libraires que notre travail sur Lupin n’était pas un simple travail de licence. Regardez la qualité de ses décors, c’est impressionnant. Je ne sais pas si la critique sera cette fois sensible au travail d’Alain mais une chose est sûre, les lecteurs le sont. Pour preuve, le premier volume de la série a dépassé les 50.000 ventes, choses rares à notre époque.

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«Le dernier secret de Nostradamus» m’a parfois fait penser au «Da Vinci Code» ou à la chasse au trésor de la Chouette d’or…
J.F. C’est parfaitement vrai et ce n’est pas un hasard. Maurice Leblanc est clairement l’inventeur du polar ésotérique qui mélange secrets d’histoire, code à décrypter et recherche de trésor. « L’aiguille creuse », l’aventure la plus célèbre du gentleman cambrioleur, ne propose rien d’autre. Le « Da Vinci Code » n’est qu’un Lupin modernisé qui puise d’ailleurs ses sources dans le mystère ésotérique de Rennes-le-Château, mystère dans lequel Maurice Leblanc à peut être lui même cherché son inspiration. Ce type de récit a un côté très ludique, car on donne à chaque fois au lecteur la possibilité de trouver les solutions aux énigmes avant que Lupin ne les résolve. Il y énormément de gens qui adorent ça, d’où le succès des chasses au trésor du type de la Chouette d’or.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

«Arsène Lupin et le dernier secret de Nostradamus»par Alain Janolle et Jérôme Félix. Bamboo. 14,90 euros.


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