Jean-Marc Lainé: «Débridé, amusant, et plein d’action»

«Webster and Jones» ressuscite la science-fiction des années 50 tout en y ajoutant une bonne dose d’humour, un rythme effréné et un ton résolument moderne. Le scénariste Jean-Marc Lainé revient sur la genèse de cette explosive aventure galactique contre des nazis de l’espace.

L’album est présenté comme une idée de Tony Larivière…
Jean-Marc Lainé. L’idée est en effet née de conversations entre Tony, qui est également libraire et qui à l’époque s’occupait d’un festival de BD, Nicolas Moraes, dessinateur de BD, et moi-même. Tony avait envie de raconter une histoire d’aventure avec un héros classique et des méchants bien cruels. Ensemble, on a construit ce qui correspond peu ou prou aux trois quatre premières planches de l’album actuel. Et puis Nicolas est reparti vers son autre grand amour, à savoir la photographie, et le projet a dormi dans un tiroir pendant une dizaine d’années. Quand j’ai rencontré Laurent Zimny, cette idée, qui à l’époque s’intitulait « Wallace Webster contre les nazis de l’espace », faisait partie d’un ensemble de projets que je lui ai soumis, et il a aimé cette proposition plus que les autres. On a commencé à développer d’autres personnages, d’autres péripéties, il a apporté son expérience d’architecte, et le projet s’est très vite étoffé.


Dans « Webster and Jones », on retrouve la zone 51 mais on découvre aussi la zone 102. Vous êtes friand de ces histoires de soucoupes volantes?
J-M.L.
Oui, j’adore ça. Il y a deux choses dans ce projet qui m’amusent : d’une part jouer avec une certaine dimension « complotiste » toujours amusante, dans la veine de la série télévisée « X-Files », avec des trucs saugrenus et outrés, et d’autre part manipuler des clichés. En l’occurrence, l’idée est de tordre le cliché afin de le montrer sous un jour différent, et ici, créer une « zone 102 », c’est une manière de dépasser le cliché, d’apporter un truc en plus au lecteur qui nous a suivis dans notre délire. Une surprise, une cerise sur le gâteau.


Votre histoire se déroule dans les années 50 en pleine guerre froide. C’est une période propice pour construire un récit?
J-M.L.
Quand j’ai découvert le travail de Laurent, j’ai vu plein d’illustrations de personnages que j’aimais bien. Et notamment, Magnus Robot Fighter, un héros de bande dessinée américaine des années 1960 qui luttait contre des robots « en tuyaux de douche », avec des appendices comme des tentacules. Une esthétique un peu rétro qui m’a immédiatement séduit. Et donc, quand on a commencé à travailler sur le projet, on avait en tête cette « science-fiction à la papa ». En plus, Laurent s’est intéressé à la période, non seulement à cause du design des objets, mais aussi en fonction de l’apparence des gens, de la mode, de la figure masculine : le look de Wallace a été déterminé en pensant à cette période de transition, d’évolution.
Et puis, bien entendu, dans l’inconscient collectif, c’est la période de la Guerre froide et de la paranoïa, et même si on n’a pas connu cette époque, elle demeure porteuse de sens, pour tout le monde, encore aujourd’hui.


« Webster et Jones » multiplie les clins d’œil. Certains vaisseaux m’ont ainsi fait penser aux golgoths de Goldorak. C’est un plaisir de glisser toutes ces références?
J-M.L.
On avait des listes de départ, quand on faisait les planches. L’exploration des recoins de la « zone 102 » a été l’occasion d’accumuler des références, des clins d’œil. J’en ai apporté beaucoup, et Laurent en a rajouté d’autres. On en a mis dans les dialogues, aussi, des citations, des renvois à d’autres imaginaires, ce genre de choses. C’est un hommage, une volonté de se glisser dans une tradition, de grimper un peu, modestement, sur les épaules des prédécesseurs. Et de créer une complicité avec les lecteurs. Les golgoths de Goldorak, ce n’est pas volontaire du tout, mais tant mieux que les lecteurs y voient des choses auxquelles on n’a pas pensé, en tout cas pas consciemment.
Et puis, il y a aussi des choses qui ont changé entre le moment où c’est écrit et celui où les pages sont dessinées. Certains objets qui n’ont ni la forme ni la taille prévue au départ et qui, en fonction des goûts de chacun, et de Laurent en particulier, ont eu une nouvelle allure. Cet album, c’est un peu un millefeuille : on a rajouté des couches au fur et à mesure.


On n’imagine par votre histoire avec un style de dessin différent de celui de Laurent Zimny…
J-M.L.
Comme je le disais plus haut, le projet a existé avant l’arrivée de Laurent. Mais il était à l’état embryonnaire, et le style atypique, intemporel, très graphique de Laurent, on a su très tôt qu’il pourrait coller avec notre volonté de faire un grand récit d’aventure qui nous amuse et qui amuse les lecteurs. Sa science de la couleur et du design, son goût pour les choses rétro, tout ça, ça semblait évident. Et le résultat, c’est que l’album doit tout à l’esthétique que Laurent véhicule et manipule.


Webster ressemble beaucoup à Hubert Bonnisseur de la Bath version Jean Dujardin. Vous le remerciez d’ailleurs en préambule. C’est donc une référence totalement assumée? Il était important d’apporter une touche d’humour dans cette histoire?
J-M.L.
Je crois que dès le départ, on voulait un truc débridé et amusant, mais plein d’action. L’exemple, le point d’horizon inaccessible, c’est  Indiana Jones. C’est la capacité à dépayser, à émouvoir, mais surtout à emporter loin, très loin. Et je voulais aussi que les personnages se chicanent un brin, que l’équipe soit un peu tendue. Et qu’elle trouve son équilibre au fil du récit, en affrontant ensemble les obstacles, les adversités. Pour ce qui est d’OSS 117, je voulais effectivement m’éloigner de la figure du héros à forte mâchoire et à fibre patriotique. Ce sont des qualités si elles sont contrebalancées avec autre chose, sinon, toutes seules, ces caractéristiques deviennent des défauts. Donc je me suis orienté vers l’idée d’un héros un peu dépassé par son époque (on en revient à cette période un peu charnière qui nous fait passer de l’après-guerre à la société de la consommation), un peu décalé, et un peu benêt. Un brin crétin, qui cogne d’abord et qui… laisse les autres réfléchir à sa place.
J’étais au départ plus intéressé par le personnage de Betty Jones, ce petit bout de femme qui s’est imposée par son mérite et son talent, et aussi par sa capacité à comprendre les choses. Le contraste entre les deux, un classique évidemment, est un chouette moteur de l’écriture.
Quant à Wallace, Laurent le voit plus héroïque, et moi un peu plus idiot. Je crois que le résultat final est un mélange de nos deux visions, qui sont complémentaires, somme toute. La baston finale montre les fêlures, les faiblesses et les peurs de notre personnage. Je crois qu’on a trouvé un bel équilibre, qu’on a créé un colosse aux pieds d’argile, ce qui le rend assez attachant.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Webster and Jones» par Jean-Marc Lainé et Laurent Zimny. Dargaud. 21,50 euros.

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