Jean Harambat: « J’ai gardé les membres les plus folkloriques »

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Véritable bijou d’humour so british, le Detection club convoque les meilleurs romanciers à énigme dans une étrange histoire de meurtre. Jean Harambat s’appuie sur des faits réels pour livrer un polar passionnant, intrigant et réellement très drôle. Un énorme coup de cœur !

le-detection-club.jpgComment avez-vous découvert le Detection club ?
Jean Harambat. J’ai découvert le Detection Club, en m’intéressant à l’écrivain Chesterton, dessinateur à ses heures, poète, auteur de contes policiers, d’essais… Il y a une sorte de parenté Stevenson-Chesterton-Borges-Umberto Ecco… En écoutant une émission de radio sur Chesterton (sans penser du tout à un quelconque sujet de livre), j’ai appris que Chesterton fut le premier président du Detection club.



Vous avez immédiatement senti le potentiel fictionnel de cette association ?
J. H. Je dois dire que oui, car, en me renseignant, j’ai immédiatement senti que les membres de ce club semblaient eux-mêmes sortis d’un récit de Chesterton ou d’un roman d’Agatha Christie ; l’ancien militaire, le prêtre, l’aristocrate hongroise, l’écrivain américain, Chesterton « bigger than life » et la duchesse du crime elle-même, Agatha Christie. Il y avait d’autres membres dans le Detection Club, mais j’ai dû en réduire le nombre. J’ai gardé les plus folkloriques, mais ils l’étaient tous à leur manière.

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Dans cette association, les auteurs acceptent diverses règles dont par exemple de ne jamais cacher un indice essentiel à l’enquête. Vous vous êtes employé à suivre le même cahier des charges ?
J. H. Oui et non, le fait d’obéir à des règles a son importance dans mon petit conte policier. De plus, ce décalogue, établi par l’abbé Knox, qui écrivit des récits policiers et une étude sur Sherlock Holmes, est lui-même un peu ironique. Ce qu’il fallait avant tout, c’est la simplicité et utiliser les ressources propres à la bande dessinée.



Ce qui caractérise cet album et le rend totalement irrésistible, c’est son humour très british. Ces dialogues pince-sans-rire sont venus assez naturellement ?
J. H. J’aimerais vous répondre que oui, hélas, il me faut beaucoup travailler et transpirer pour être drôle ! C’est un peu comme ce que disait Ronald Searle à propos du dessin : quel que soit le labeur du dessinateur, il faut que cela ait l’air facile !

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On s’amuse aussi beaucoup à voir les auteurs se chamailler entre eux comme lorsque Chesterton dit à Agatha Christie qu’avec elle, la logique prend souvent des vacances. Ils étaient aussi taquins ?
J. H. Je crois que oui. Chesterton était un sacré personnage : un géant obèse, avec sa canne-épée et sa bouteille de bourgogne cachée dans sa cape. Il paraît qu’il tirait à l’arc dans son jardin et on raconte que dans un autobus il laissa sa place à trois dames, tant il était corpulent. Chesterton est l’une des figures les plus sympathiques de la littérature. Agatha Christie était plus timide et difficile à cerner d’après les biographies que j’ai lues, mais elle a créé un personnage de romancière policière fictive qui apparaît dans quatre romans, dont l’excellent Cartes sur table. C’était une version parodique d’elle-même, un peu plus foldingue et acide. Je me suis servi de ce double de fiction pour mon Agatha.



Qu’avez-vous appris de leurs relations ? Est-ce qu’il existe des documents qui évoquent ce Detection Club ?
J. H. J’ai trouvé des éléments, bien sûr, même si la plupart des choses de ma BD sont inventées ou exagérées. Le décalogue, la préoccupation de ce que doit être un récit policier, le rite d’intronisation au Detection Club, avec le crâne éclairé : tous ces éléments sont tout à fait véridiques. Il paraît même qu’à une occasion, Dorothy Sayers tira au pistolet pour célébrer l’arrivée d’un nouveau membre.

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Avez-vous ressenti une certaine pression au moment de devoir inventer une énigme digne de ces illustres romanciers ? Avez-vous cherché à mélanger leurs styles ou plutôt à vous imprégner de l’un d’eux ?
J. H. Ce sont les contes policiers de Chesterton qui m’ont le plus influencé. Souvent, ils suggèrent un fait fantastique, proposent une solution surnaturelle absurde, l’écartent, puis offrent une résolution tout aussi absurde, mais qui renvoie quant à elle à notre humanité. C’est ce que j’ai tenté de faire dans mon histoire qui utilise les conventions du genre, attendues par le lecteur (l’île, la villa, l’isolement). En revanche, je souhaitais confronter mes écrivains-détectives aux questions que posent l’intelligence artificielle, la surenchère technologique et l’agressivité d’un certain régime de mise à disposition du monde. J’aime citer cette phrase de Hans Jonas pour résumer ma fable: « La vie ne peut être comprise que par la vie ».



Vous avez remplacé certaines cases par de courts paragraphes de texte sur fond blanc. Pourquoi ce choix ?
J. H. Il y a beaucoup de raisons à cela. La bande dessinée, ce sont des dessins en séquence, mais aussi des mots. J’aime les soigner, laisser de la place à la narration, essayer de m’en servir pour faire avancer le récit ou le ralentir au contraire. Et puis, je souhaitais ajouter un mystère au mystère. Qui raconte l’histoire ? Est-ce la machine ? Est-ce le coupable ? Je souhaitais que le lecteur se pose cette question, surtout au regard d’une des règles du décalogue. On pense à tout cela lorsqu’on fait un album, par contre, on ne sait jamais si ça marche !

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Le Detection Club » par Jean Harambat. Dargaud. 19,99 euros.

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