Isabelle Dethan: « Cette série est née en regardant Dexter »
Davantage polar que « Les terres d’Horus », « Les ombres du Styx » enquêtent sur un tueur en série qui assassine de jeunes enfants. Née d’une réflexion au sujet de la série télé « Dexter », cette nouvelle livraison d’Isabelle Dethan dévoile une civilisation romaine très éloignée des clichés enseignés au collège.
Après huit tomes sur l’Égypte, vous changez de période sans vraiment changer puisque « Les ombres du Styx » se déroulent aussi durant l’Antiquité…
Isabelle Dethan. J’ai vécu 10 ans en compagnie des héros des « Terres d’Horus ». J’avais besoin de changement. Mais la période de l’Antiquité m’a toujours passionnée, et je suppose que l’heure était venue de me confronter à une société dure et violente telle que celle des Romains. Leurs vestiges architecturaux nous entourent mais nous commençons à peine à entrevoir, grâce à des séries et des documentaires récents, les abîmes moraux qui séparent nos deux civilisations. Ce sont ces différences qui m’intéressent. Car, en classe de 6e, on m’a enseigné une vision édulcorée de Rome !
Graphiquement, est-ce que vous avez travaillé différemment sur cette série ? Est-ce que changer d’époque permet de se renouveler, d’aborder le dessin avec une approche différente, mais aussi de retrouver un plaisir différent puisqu’il faut à nouveau créer de nouveaux personnages et les faire vivre dans de nouveaux décors ?
I.D. Pour un scénariste, inventer de nouveaux personnages est toujours passionnant ; pour une historienne amateur, traquer le petit détail qui rend une atmosphère est grisant ; enfin, pour la dessinatrice que je suis, chercher à traduire de nouvelles ambiances, rendre de nouveaux caractères en changeant d’outils et d’alliances colorées est très intéressant. Bref, j’ai tenté de me renouveler, car c’était nécessaire pour aborder ce nouvel univers, tout en gardant certaines façons de faire : la mise en couleurs directe, aux encres de couleurs reste indissociable, pour moi, du rendu du monde antique.
L’intrigue, qui s’intéresse à un tueur en série d’enfants, est en revanche très actuelle…
I.D.
En fait, cette série est née d’une réflexion que je me suis faite après avoir vu la dernière saison de la série américaine « Dexter », dont le héros, tueur en série, tente de se fondre dans la société moderne. Comment une société ancienne, dont les codes moraux et les règles de vie sont différents, aurait-elle perçu la chose ? Comment aurait-elle réglé le problème ? À partir de là, une histoire est née…
Dans ce premier tome, les esclaves représentent presque un personnage secondaire. C’était inévitable et important de montrer cette réalité ?
I.D. Les esclaves représentent les deux tiers de la société romaine. Impossible de ne pas évoquer leur sort ; cela permet aussi de mieux esquisser la société romaine, et de mieux plonger le lecteur dans un univers totalement différent.
Tout semble accuser l’arrogant Aquila. C’est tellement appuyé que l’on a l’impression que vous n’avez même pas essayé de créer une vraie fausse piste avec lui ? Ou c’est justement cette impression de coupable trop idéal qui est une fausse piste ? Est-ce que vous aimez jouer avec le lecteur ?
I.D.
Ah là là, Terentius Aquila… Tout ce que je peux dire, c’est que sans lui, la série n’existerait pas. Quant à jouer avec les lecteurs, on en saura plus… après le second tome !
Quelle est votre motivation quand vous débutez un polar ? Écrire une intrigue sans faille ? Surprendre ?
I.D.
En fait, le polar est juste un moyen intéressant de raconter la vie d’un certain nombre de personnages à une époque donnée, et d’emmener les lecteurs rapidement au cœur d’un monde nouveau et, parfois, déroutant…
Ce premier tome traite aussi du racisme envers une communauté, ici les Égyptiens. Cette dimension politique a été l’un des moteurs de l’intrigue ou elle est venue s’intégrer au récit ?
I.D.
C’est tombé sur les Égyptiens parce que je n’ai pas pu m’empêcher de caser des momies dans mon scénario ! Quoi que je fasse, l’Égypte me poursuit… Plus sérieusement, cette civilisation a rayonné sur tout le bassin méditerranéen, surtout grâce à sa religion – merci Isis – or à Leptis Magna, on n’est pas très loin de l’Égypte et il était normal de les « utiliser ». Je ne voulais d’ailleurs pas tant montrer les ravages du racisme que l’affolante force que peut représenter un groupe d’hommes soumis à un raisonnement simpliste…
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
« Les ombres du Styx » (tome 1. « Le maître de l’éternité ») par Isabelle Déthan. Delcourt. 13,50 euros.