Gess : « Paris, c’est notre Gotham à nous »

Avec « Un destin de trouveur », second livre dans l’univers des « Contes de la Pieuvre », Gess fait revivre le Paris de la fin du XIXe siècle au travers de personnages hors du commun. Capable de trouver ce qu’il veut en jetant un caillou sur une carte, l’inspecteur Farges est contraint de travailler avec la mafia. Une remarquable histoire de super-héros à la française.

trouveur1.jpgQue sont « Les Contes de la Pieuvre »?
Gess. « Les Contes de la Pieuvre » sont une série d’aventures, vécues par différents protagonistes. Le seul lien que l’on peut faire entre eux est qu’ils ou elles ont affaire à un moment donné avec la mafia parisienne dénommée la Pieuvre. C’est en général ce moment que je choisis de raconter. Le premier conte parlait d’un des tueurs de la Pieuvre, Gustave Babel, le second traite d’un Trouveur : une personne qui a le talent de trouver ce qu’il veut en jetant un caillou sur une carte et qui travaille pour la police.

Cet univers peuplé de talents, des personnages dotés de pouvoirs, m’a beaucoup fait penser aux X-Men. Est-ce que cela a été une influence ?
G. Pas du tout, ou alors inconsciemment, car j’ai lu ces comics dans ma jeunesse et j’ai vu les films. Non, si je devais rechercher une référence à mon inspiration, j’irai plutôt chez « Alvin le Faiseur » de Scott Card où ce sont des gens simples qui ont des pouvoirs à l’époque des colons aux États-Unis, ou « La tour du Diable » et « Le train du Diable » de Mark Sumner, des westerns avec des gens qui ont des talents. C’est assez jouissif à lire ! Comme ce sont des livres que j’ai illustrés à l’époque, je pense qu’ils m’ont influencé plus profondément. Et puis, comment ne pas faire référence aux « Chroniques du Grimnoir » de Larry Correia, uchronie dans laquelle des gens ont des pouvoirs aux États-Unis en 1940. En cherchant, je pourrais trouver encore d’autres références comme par exemple « La Brigade chimérique »…

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Vu le nombre de superhéros déjà créés, est-ce qu’il a été compliqué d’inventer des pouvoirs assez originaux ?
G. Pour le moment ça va, mais ça risque de le devenir ! (rires)

Comment est par exemple né ce Trouveur, qui trouve ce qu’il cherche en jetant un caillou sur une carte ?
G. En cherchant des infos sur le Paris de la fin du XIXe siècle, j’ai lu que beaucoup de femmes et d’enfants se prostituaient d’une part et que la police n’avait encore que très peu de possibilités de retrouver des meurtriers, vu que les papiers d’identité n’étaient pas encore vraiment au point. J’avais déjà en tête « les Sœurs de l’Ubiquité », ces femmes qui protégeaient au mieux les plus faibles. Il me fallait un « accélérateur », alors j’ai pensé à ce talent de Trouveur…

Situer votre histoire dans le Paris de la fin du XIXe siècle permettait de vous démarquer des histoires habituelles de superhéros ?
G. Quand je faisais « La Brigade chimérique » avec Fabrice Colin et Serge Lehman, j’ai beaucoup cherché de documentation de Paris sur le net et il y avait toutes ces photos si belles du début du XXe siècle. J’ai eu un coup de foudre et l’envie de raconter des histoires. Je me suis renseigné sur la vie à Paris à cette époque et je l’ai trouvée passionnante : le début des mouvements sociaux, l’industrialisation, une police peu efficace par manque de moyen et les Apaches… Et puis, au tout début du premier conte, je lisais « Rue des maléfices » de Jacques Yonnet et je me suis dit que c’était comme ça que j’avais envie de parler de Paris. Depuis, j’essaye !

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Les femmes occupent une place très importante dans votre histoire. Est-ce uniquement pour rendre hommage aux combattantes de la Commune ?
G. Oui et non. Ça l’est, car pendant la Commune, elles ont vraiment boosté les mouvements sociaux et elles ne faisaient pas que palabrer, elles agissaient. Mais c’est aussi, évidemment, une référence au sort des femmes d’aujourd’hui. Plus d’un siècle après, peu de choses ont vraiment changé pour elles. Le patriarcat a la peau dure. Une femme meurt tous les trois jours sous les coups d’un homme. En fait, je continue dans la lignée du précédent conte : « La malédiction de Gustave Babel » où l’on croise Mado, une prostituée, vendue par son père à une maison close à l’âge de 12 ans. C’était assez courant à l’époque. Je pensais à toutes ses filles, toutes ces femmes et j’avais envie d’en parler.

Chaque chapitre débute par un extrait de texte de Jean-Jacques Rousseau…
G. D’abord, c’est l’éducation d’Émile Farges dit le Trouveur. Son père l’a éduqué, comme le dit Émile, dans les préceptes de Jean Jacques Rousseau. Comme dans chaque conte jusqu’à maintenant, je vois les choses du point de vue du personnage principal et donc ici Émile Farges. Ces têtes de chapitre montrent son point de vue. Elles expliquent son comportement, ses choix, sa manière de penser. Ensuite, c’est sous cette idéologie que le place son père en faisant comme cadeau à la diseuse «Le Contrat social».

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Qui est cette diseuse ?
G. C’est la personne que les parents vont voir quand leur enfant a 7 ans, pour savoir s’il ou elle a un talent et, si oui, lequel. Les parents doivent apporter un cadeau « d’une valeur inestimable et qui, en même temps, ne vaut pas grand-chose ». Le choix du cadeau dit à la diseuse de quelle façon l’enfant gérera son talent. C’est un peu l’héritage moral des parents. Pour Émile, ce sera au service de la communauté qu’il s’est choisi : les femmes.

On devine un réel plaisir à reconstituer le Paris de cette époque…
G. Je continue à prendre beaucoup de plaisir ! J’ai appris des tas d’anecdotes sur le Paris du XIXe siècle. C’est notre Gotham à nous. Paris est porteur de tellement d’histoires, d’aventures, de personnages mythiques que juste citer son nom ouvre une porte dans notre esprit sur notre imaginaire. Pour Trouveur, j’ai utilisé des cartes de l’époque. Elles m’ont transporté dans le temps, dans un Paris où la Bièvre était encore à l’air libre, des rues disparues sont réapparues… Extra ! Mais il me manque encore de la documentation, historique celle-là, pour reconstituer le Paris magique de Jacques Yonnet… Ce n’est pas gagné ! (rires)

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

Un destin de Trouveur – Un récit des Contes de la Pieuvre » par Gess. Delcourt. 25,50 euros.

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