Frédéric Duval: « Épaté par le culot de Michel Bussi »

Après l’excellent «Les nymphéas noirs», Fredéric Duval et Didier Cassegrain adaptent un nouveau roman de Michel Bussi. «Ne lâche pas ma main» est un palpitant thriller au cœur de l’île de La Réunion. L’occasion d’évoquer les adaptations de polar en bande dessinée avec le scénariste Frédéric Duval.

C’est votre deuxième adaptation d’un roman de Michel Bussi. Qu’est-ce qui vous plaît dans ses polars?
Frédéric Duval.
Je ne suis pas un grand lecteur de polar ni de romans noirs. Ce qui m’a séduit à la lecture de mon premier Bussi, «Nymphéas Noirs», c’est sa vision de géographe dans la description des décors, des lieux et, comme dans «Maman a tort», sa façon d’ancrer un récit à rebondissements dans une observation sociologique.


Pourquoi avoir choisi «Ne lâche pas ma main» plutôt qu’un autre de ses romans?
F.D.
«Ne lâche pas ma main» avait un aspect opposé à «Nymphéas noirs» qui est un huis-clos normand impressionniste. Là, nous partons pour La Réunion pour une magnifique course poursuite dans la veine du film «La Mort aux trousses». Ce récit correspondait bien au style de Didier Cassegrain qui ne souhaitait pas s’attaquer au long récit d’«Un avion sans elle», mon premier choix, et que j’ai finalement réalisé chez Glénat avec Nicolai Pinheiro.


Est-ce que les histoires de Michel Bussi se prêtent bien à une adaptation en bande dessinée ? Est-ce que vous conservez la trame principale du roman ou est-ce que vous réagencez l’histoire?
F.D.
Vaste question qui mériterait une conférence d’une heure. Quand j’adapte un roman, le but est d’en faire une bonne bande dessinée qui restitue son intention. Cela passe ou pas par des changements dans les péripéties. Il faut parfois enlever ou ajouter un personnage, changer le déroulement des chapitres mais toujours avec l’idée de passage de l’écrit au visuel. Cet agencement constitue la partie la plus délicate de l’adaptation. J’y passe environ trois semaines avant de commencer à découper les planches. Les romans de Michel s’y prêtent très bien car il a une manière de raconter qui passe beaucoup par les ellipses. Son écriture est également très visuelle. Il propose aussi des personnages truculents comme Christos «le prophète» dans «Ne lâche pas ma main» ou Aja sa supérieure hiérarchique.


Est-ce que Michel Bussi est intervenu dans cette adaptation?
F.D.
Je lui envoie les découpages dialogués. Il peut ainsi me donner des suggestions sur les dialogues ou bien préciser des points sur lesquels je m’interroge. J’aime beaucoup l’idée de dialoguer avec l’auteur qui m’a fait confiance de toute façon. Il n’est donc pas question de «validation» mais d’un moment qu’on se réserve tous les deux pour parler du scénario.
Pendant la première phrase d’adaptation, celle où je déconstruis le roman pour en faire une BD, je lui pose des questions sur ses intentions au-delà de l’intrigue. Pour moi «Ne lâche pas ma main» est un roman sur la violence, celle de tous les hommes. En le lui suggérant, je n’ai pas eu de désapprobation, au contraire. Nous parlons souvent de la quête de l’identité, thème qui traverse toute son œuvre. Ces discussions au-delà de l’adaptation m’aident à éclairer les intentions.
Je peux changer pas mal de choses dans l’agencement de l’action, ce sont des trahisons nécessaires et parfois très agréables à réaliser. En revanche, je n’aimerais pas constater que j’ai fait un contresens sur le fond, voire le message qui passe entre les lignes.


Un polar qui se déroule sur l’île de Réunion, c’est une aubaine graphique pour une adaptation en bande dessinée ? C’était aussi l’avis de Didier Cassegrain?
F.D.
Oui, il y avait finalement plus de séquences dans la ville balnéaire que dans la partie montagneuse, mais Didier à justement optimisé les moments de paysage. Le roman, axé sur une belle galerie de personnages témoins du melting-pot réunionnais, lui convenait parfaitement car Didier est un grand dessinateur du vivant.


«Ne lâche pas ma main» tient en haleine tout au long de ces 130 pages et réussi à surprendre le lecteur dans sa conclusion. Êtes-vous un peu jaloux du talent de Michel Bussi à écrire ce genre d’histoire?
F.D.
Jaloux, non, épaté par son culot, oui, comme je le suis par les récits de bande dessinée de Jean Van Hamme. Bussi et Van Hamme sont des funambules. Un pas raté et c’est la chute. Eux ne tombent pas. Certains éléments de leur structure savent s’affranchir de la logique ou de la crédibilité pour trouver une raison dans la force du propos, le souffle du récit. Mes récits, notamment de science-fiction comme «Travis» ou «Renaissance» ne sont pas menés comme cela, ce sont des mécaniques très carrées basées sur l’imaginaire, mais je ne suis pas un voltigeur, mes histoires ont les deux pieds sur terre.


Est-ce qu’un scénariste expérimenté comme vous apprend aussi des choses en adaptant l’histoire d’un autre?
F.D.
Comme je le disais juste avant, oui, j’apprends beaucoup, et notamment à me décomplexer, à ne pas tout justifier. Pour cela, je suis obligé de réfléchir aux choix narratifs qui n’auraient pas été les miens et parfois je dois me dire, c’est l’idée de l’auteur et il faut essayer de la garder même transformée. J’espère de mon côté donner un éclairage rationnel sur les intentions contenues dans les romans. Je trouve une expérience encore plus forte avec l’écriture de «Cinq Avril» (deux tomes également chez Dupuis) car là, nous coécrivons, nous construisons ensemble et de notre ping-pong, un auteur «Bussi & Duval» naît. Dans ce travail, qui repose aussi sur notre très bonne entente, nous nous amusons énormément, on parle d’histoire, de géographie, d’humanisme, des thèmes qui sont dans nos écrits respectifs et que nous confrontons.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

«Ne lâche pas ma main» par Fred Duval, Didier Cassegrain, Michel Bussi. Dupuis, collection Aire Libre. 29,90 euros.

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